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Un nouveau recul pour la non-prolifération

Les États-Unis ont annoncé qu’ils se retiraient du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Une décision rapidement imitée par Moscou. Si elle est avant tout symbolique, cette décision atteste du regain des tensions sur la scène internationale, bouleversée par l’essor chinois, et annonce sans doute une reprise de la course à l’armement entre plusieurs grandes puissances.

Vendredi dernier, les États-Unis ont annoncé leur sortie du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), conclu en 1987, après à la fin de la guerre froide. Ce texte interdit ses signataires de développer, tester et déployer au sol des missiles d’une portée comprise entre 500 et 5 500 km. Pour justifier ce retrait, le président américain Donald Trump accuse Moscou de violer ce traité – il a cité la présence de missile Novator 9M729 à Ekaterinbourg, dans l’Oural.

Cette dénonciation de l’accord n’est pas une surprise. Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, avait donné à la Russie 60 jours pour lui donner tort. Il avait prévenu que, s’il n’obtenait pas satisfaction, son pays se lancerait dans la construction de de deux nouvelles armes : un nouveau type de missile nucléaire de faible puissance et un nouveau type de missile nucléaire de croisière – tous deux interdits par le FNI.

Le Secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a soutenu la décision américaine : « Tous les alliés sont d’accord avec les Etats-Unis parce que la Russie viole le traité depuis plusieurs années. Ils déploient de plus en plus de nouveaux missiles nucléaires en Europe ».  « Ces nouveaux missiles sont mobiles, difficiles à détecter, capables d’atteindre les villes européennes et n’ont pratiquement pas de temps d’alerte, de sorte qu’ils réduisent le seuil d’utilisation potentielle d’armes nucléaires dans un conflit » a-t-il souligné.

Le lendemain, en représailles, le président Vladimir Poutine a, là encore sans surprise, déclaré que la Russie allait elle aussi sortir de l’accord et recommencer développer de nouveaux missiles, déplorant une décision américaine « irresponsable ». S’il ne reconnait pas les faits qui lui sont reprochés par Washington, il a par contre rétorqué que les Etats-Unis avaient pour leur part violé les termes du traité en déployant des lanceurs de missiles balistiques de portée intermédiaire en Roumanie. Des engins à vocation défensive – donc autorisés par le traité FNI – rétorque la Maison blanche.

« Toutes nos propositions dans ce domaine, comme auparavant, restent sur la table, les portes des négociations sont ouvertes » a spécifié le dirigeant russe. Il fait référence à une clause de l’accord qui prévoit une période de six mois de pourparlers en cas de désaccords. Mais tout laisse à penser que ce délai sera inutile, tant les deux parties semblent bien décidées à camper sur leur position. Wolfgang Richter, ancien conseiller militaire de l’Allemagne à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), note ainsi un « manque flagrant » de volonté de coopérer entre Moscou et Washington.

Selon lui, la Maison blanche « dispose probablement des preuves de l’existence de ces armes russes recueillies par les services de renseignement, qu’elle a dû partiellement partager avec ses alliés pour s’assurer leur soutien ». Pourtant, Washington n’a rendu publique aucune image satellite et n’a pas demandé à faire de vérification sur le terrain comme le permet le traité. « Moscou pourrait demander en retour de vérifier les installations en Roumanie, ce dont Washington ne veut pas » souligne justement l’expert.

En réalité, cette double sortie est avant tout symbolique : les avancées technologiques des deux dernières décennies ont grandement réduit la portée du traité FNI. Pour autant, elle témoigne d’une attitude susceptible de relancer la course aux armements – que de tels traités étaient justement parvenus à enrayer. Aussi, il faut comprendre que l’alibi russe n’est en réalité qu’un écran de fumée – Washington accuse Moscou de violations connues depuis longtemps. Pour expliquer cette décision, il faut prendre en compte le facteur chinois.

Pékin n’est en effet pas signataire du FNI. Aussi, quand la Chine appelle les deux pays à « à un dialogue constructif », elle se garde bien de proposer de rejoindre l’accord. Or, le récent développement de la puissance militaire chinoise inquiète à Washington, et les conseillers militaires de Donald Trump voudraient bien avoir les mains libres pour développer plus en avant leur arsenal et conserver une avance technologique qu’ils estiment cruciale. Le Kremlin est, quant à lui, trop heureux de jouer son d’assiégé, une pièce centrale du storytelling développé par Poutine depuis le début des années 2000.

Ce regain de tensions fait craindre pour l’avenir du traité New START, qui limite le nombre de lanceurs et d’armes nucléaires à longue portée, et dont la portée est bien supérieure. Il s’agit en effet du dernier mécanisme international qui protège le monde contre la prolifération nucléaire. Il rappelle également que le nationalisme n’a pas le logiciel pour donner des réponses à des problèmes transnationaux – changement climatique, développement technologique éthique, non-prolifération, migration de masse… Au mieux, il n’en traite que les symptômes.

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