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Emmanuel Macron et l’Europe qui protège

Dans une tribune appelée diffusée mardi 5 mars, Emmanuel Macron se livre à une explication de son approche transversale de réforme de l’Union européenne. Le texte, publié dans les 28 pays de l’Union européenne, y compris la Grande-Bretagne, et en 22 langues, rejette à la fois les nationalismes et le centrisme européen, garant du statu quo. A travers ces proposition, tantôt sociales, tantôt conservatrice, résolument réformatrices, le Président français tente de dicter les grands thèmes des européennes à venir.

 

Pour le Président français, « il y a urgence ». Dans une longue tribune s’adressant aux citoyens des 28 Etats-membres de l’Union européenne, le Président de la République français, Emmanuel Macron présente sa vision pour un « projet européen renouvelé » – sorte de note d’intention truffée de références historiques en vue des élections européennes prévues le 26 mai prochain. Il y confirme son engagement européen, mais y développe de nouvelles lignes politiques, marquées par les divisions idéologiques européennes croissantes et les leçons de la crise des gilets jaunes.

« Il ne s’agit ni de faire La Sorbonne 2, ni l’anti-Sorbonne », dit-on à l’Elysée. En réalité, il s’agit un peu des deux, selon les sujets abordés. Emmanuel Macron opère ici une réadaptation de son projet européen à un nouveau cadre politique. Il le fait autour de trois valeurs cardinales : plus de libertés, plus de progrès mais aussi plus de protection. Sur les deux premiers points, il ne surprend pas – comme ses appels à la création d’une banque européenne du climat serait créée pour financer la transition écologique ou d’une Agence européenne de protection des démocraties contre les fake news ne surprennent pas. En revanche, sur les questions sécuritaires et identitaires on note une évolution.

 

« La frontière, c’est la liberté en sécurité »

Pour faire face aux nouveaux enjeux européens, il opère une sorte de marche arrière, en embrassant une partie des critiques qui visent Bruxelles. Il dénonce ainsi une Europe qui n’a pas su protéger de la mondialisation ultra-libérale, d’attaques terroristes sanglantes, de l’arrivée en masse de migrants ou d’une dérive technocratique souvent dénoncée pour son manque de démocratie. Mais sa solution n’est pas axée sur la préférence nationale – comme l’ont proposé plusieurs états membre (en tête, la Pologne, la Hongrie et l’Italie) – mais sur une préférence européenne.

Aussi, fait-il siennes l’expression de Jean-Claude Juncker d’« Europe qui protège » et la proposition de la Commission d’une « police des frontières commune ». Mais il appelle également à une révision des règles de l’espace Schengen, sorte de serpent de mer que les europhiles tendent à éviter, laissant généralement ce terrain aux nationalistes. Pour dépasser les blocages jusqu’alors rencontrés, il propose une approche thématique, secteur par secteur, et y mêle librement les thématiques de ses détracteurs et ses grands classiques (le meilleur exemple étant le bouclier social européen).

La tribune fait également le procès d’une Europe qui punit (récemment illustrée par le refus de la Commission européenne de valider le mariage entre le Français Alstom et l’Allemand Siemens). M Macron appelle à repenser les règles pour davantage d’ouverture, tout en prenant garde de continuer à protéger les européens des entreprises qui « portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles, comme les normes environnementales, la protection des données et le juste paiement de l’impôt ». Une réponse aux GAFAM, à la guerre commerciale de Trump, à l’espionnage industriel chinois ou le post-tsarisme de Poutine – dont l’Europe, d’après lui, nous protège mieux que quiconque.

 

Tenter de dépasser le clivage nationaliste/européen

« Moment historique », « l’Europe, comme la paix, n’est jamais acquise », les (très) nombreuses références à la seconde guerre mondiale… La tribune du Président français donne par la forme dans une dramatisation parfois un peu indigeste. Aussi, ses comparaisons, parfois oiseuses, donneront des arguments à ceux qui dénoncent l’alarmisme des pro-européens – échos des critiques du « project fear » par les Brexiters. Cette pause « moi ou le chaos » ne convainc plus grand monde. Mais le texte rejette également implicitement clivage nationalistes / progressistes, et semble vouloir sortir de la guerre du langage qui divise aujourd’hui les européens, en s’appropriant des idées qui viennent des deux côtés (migrants, sécurité, défense des industries européennes…).

Tout en défendant l’Europe, cette tribune met les partisans du statu quo face à leurs contradictions : ceux qui « nient les peurs qui traversent nos peuples, les doutes qui minent nos démocraties ». Elle reconnait la panne et propose une « renaissance ». Aussi le fait qu’elle sorte le lendemain d’un long entretien à la télévision italienne n’est pas un hasard. Les dérivent du Brexit y jouent aussi leur rôle. On y rappelle ainsi qu’un marché ne suffit pas à faire l’Europe (« L’Europe n’est pas un supermarché. L’Europe est un destin commun »). Une réflexion qui ouvre la voie à la révision des traités fondateurs de l’UE, tout en s’opposant au nationalisme, qui n’est, selon lui, qu’ « un rejet, sans projet ».

 

Le lancement d’une campagne

A travers toutes ces propositions, Emmanuel Macron assume vouloir exercer le leadership européen. Et pour ce faire, il veut s’appuyer sur le même outil qui l’a sorti en France se sa spirale d’impopularité : un grand débat. Nommée « conférence pour l’Europe » ; cette initiative devrait, d’après M Macron, « proposer tous les changements nécessaires » et « rapprocher les Européens autour de leurs valeurs communes ». Une approche qui montre à quel point il est satisfait de sa réussite politique nationale, mais qui risque de susciter peu d’échos chez nos voisins. Et si elle se présente comme une réponse à la colère des peuples européens, cette tribune est avant tout une réponse à la colère d’un peuple : le peuple français.

Cette déclaration n’est pas une posture politique – Emmanuel Macron a toujours été un amoureux de l’Europe et un réformateur chevronné. Mais elle est en revanche très politique : elle intervient en amont d’un vote crucial, où la majorité s’engage affaiblie (les sondages la donnent à peine devant le Rassemblement national, avec à peine un quart des suffrages). A travers elle, il pose unilatéralement un cadre pour les débats sur la campagne à venir. Elle apporte aussi des réponses aux inquiétudes des français qui se sentent les perdants de la construction européenne. Enfin, cette tribune tente d’anticiper la restructuration politique du Parlement européen à venir.

Au terme de vote, Emmanuel Macron fait le pari d’un gouvernement par le centre, refusant les positions historiques de la droite et de la gauche au profit du cas par cas, comme il l’avait fait lors de la présidentielle. Aussi, il propose la liberté pour les libéraux, la protection pour les conservateurs et le progrès pour les sociaux-démocrates. Avant la publication de ce texte, l’Élisée a d’ailleurs échangé avec presque tous les dirigeants européens – notamment l’équipe de Giuseppe Conte, chef du gouvernement italien, pourtant très critique de la France. Il a en revanche omis le Premier ministre de Hongrie, Viktor Orban, son grand ennemi rhétorique. Et ce alors même que la droite européenne (PPE) tente de mettre Orban à la porte, ce qui la marginaliserait encore un peu plus.

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