Site icon La Revue Internationale

L’Europe au cœur de la rencontre Macron-Xi Jinping

Ces derniers jours, Emmanuel Macron recevait XI Jinping, pour trois jours d’une lune de miel complexe. Déjà, l’homme incarne le renouveau dur du parti communiste chinois, décomplexé sur la question des droits de l’homme. Mais la situation est également complexe du fait de la montée en puissance de la Chine, qui fait évoluer le rapport de force avec l’Europe, au moins en apparence, en la faveur de Pékin. Enfin, cette rencontre était complexe car le Président chinois revenait d’un séjour à Rome, lors duquel l’Italie a signé des engagements unilatéraux avec la Chine sur la question des nouvelles routes de la soie.

Si cette seconde rencontre a été l’occasion de signer de nombreux contrats commerciaux (notamment la validation de la vente de 300 Airbus, renforcée par la tourmente de Boeing), elle a également été l’occasion de parler d’un multilatéralisme inclusif de l’Union européenne. Le président français s’est une nouvelle fois fait le chantre d’une Europe forte et unie, en reprenant sur le mot d’ordre lancé par Angela Merkel en début de mois : la réciprocité. « Le temps de la naïveté européenne est révolu » résumait l’Elysée, ouvrant la voie à un mélange de charme et de fermeté neuf dans ses relations sino-européennes.

La nouvelle donne

Il y a dix ans le PIB chinois représentait sensiblement la moitié de celui de l’UE, mais aujourd’hui, la Chine devance de peu l’Europe. Plus parlant encore : il y a 30 ans le PIB français était 3 fois supérieur à celui de la Chine, aujourd’hui, ce dernier est 4 fois celui de l’hexagone. En outre, la balance commerciale Chine-Europe penche de 170 milliards de dollars en faveur de Pékin, dont 29 milliards de surplus avec la France. Pour résumer la situation, les deux pays ne parlaient exactement pas d’égal à égal.

Pour autant, l’UE reste encore le plus grand marché de consommateurs aisés du monde, et n’est à ce titre pas seule à être en demande. Une position encore renforcée par le facteur Trump, et guerre commerciale musclée qu’il a engagée avec la Chine. De fait, Bruxelles et Pékin pourraient faire plier Washington en faisant front – et le marché européen offre une alternative de choix pour une économie chinoise pénalisée par le protectionnisme américain.

Aussi, le Président chinois a appelé de ses vœux une Europe « unie et prospère » dans son discours d’hier soir. A ce titre, la Chine n’est pas la Russie, et elle n’essaie pas d’affaiblir l’UE. Il est même dans son intérêt à long terme que l’Europe se renforce pour mener à un monde tripolaire. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012, le régime chinois a en revanche clairement exprimé ne qu’il n’était pas question qu’il change pour faire plaisir aux occidentaux. Il appartient, d’après lui, à ces derniers de s’adapter.

Un rival systémique

Aussi, pour Pékin, si l’Europe doit être un allié de choix, il ne s’agit pas pour autant de renoncer aux rapports bilatéraux. Devant cette position, la stratégie française est bicéphale : Emmanuel Macron représente une délégation française, 6ème économie mondiale, puissance nucléaire et surtout membre permanent conseil de sécurité ; il se présente également comme le leader européen. Il aura même su imposer au dirigeant chinois une réunion tripartite avec Angela Merkel et Jean-Claude Junker, pourtant très réservé sur la question.

Les cadres paradisiaques de cette rencontre ne doivent pas non plus faire oublier que lors de son premier déplacement en France, sous François Hollande, Xi Jinping avait été reçu au Château de Versailles. Force est donc de constater que l’accueil est aujourd’hui un moins prestigieux, ce qui signale une évolution de la position française et européenne.

La Commission avait même qualifié la Chine de « rival systémique » dans un document justifiant l’adoption en février par le Parlement d’un outil de filtrage des investissements chinois dans les secteurs stratégiques. « La Commission avait essayé de faire participer la Chine à des financements européens, mais celle-ci avait accepté des engagements extrêmement réduits, par crainte d’avoir à souscrire aux critères d’appels d’offres », explique François Godement, de l’Institut Montaigne. « Il y a une frustration concrète dans l’UE sur le caractère très limité des projets communs. »

Plus largement, le dirigeant chinois ne fait pas de secret de son rejet de la démocratie libérale, et s’est présenté comme le porteur d’une alternative idéologique. Si bien que beaucoup à Bruxelles pensant que la Chine, qui s’intéresse de très près aux maillons faibles de l’UE (Grèce, Italie…), cherche un cheval de Troie.

La ligne « terrestre » de XI Jinping

Cette rencontre a par ailleurs confirmé, s’il le fallait encore, que XI Jinping, et le clan qui tient actuellement le Parti communiste chinois, ne partagent pas la vision de ces deux prédécesseurs – « ceux de Shangaï ». La focalisation se fait désormais beaucoup moins sur la Chine côtière, au profit des régions centrales. Aussi, Pékin tourne les yeux vers l’Ouest pour porter son essor scientifique (notamment Huawei, mis en difficulté aux Etats-Unis et en Australie).

La volonté chinoise d’autonomie, aujourd’hui incarnée par la logique des routes de la soie, et sa volonté de croissance, s’appuient donc à la fois sur les matières premières d’Afrique mais aussi les exportations vers l’Europe. Pourtant, cette transition est vue par certains comme trop brusque. XI a d’ailleurs été houspillé par son Premier ministre, Li Keqiang, lors du dernier congrès du parti communiste, qui l’a rendu responsable des relatives difficultés économiques que rencontre le pays.

La croissance chinoise, si elle reste positive, est en effet au plus bas depuis 30 ans. Une situation que certains imputent à la position « trop offensive » du nouveau dirigeant. Il avancerait trop rapidement, au risque créer des frictions (en particulier avec les Etats-Unis) préjudiciables à l’économie nationale. Inversement, Deng Xiaoping et ses successeurs préconisaient d’avancer masqué. Cette situation n’aura en tout cas pas échappé au dirigeant français, dont la vision d’un Europe forte se heurte elle aussi directement à l’America first de Trump.

Quitter la version mobile