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Sommet de Hanoï : aveu d’amateurisme pour la diplomatie américaine

Le sommet à Hanoï réunissant Donald Trump et Kim Jong-un en fin de semaine dernière, n’aura finalement pas mené à une avancée majeure, comme l’espérait la Maison blanche. Aussi, le centenaire du soulèvement coréen pour l’indépendance, célébré le lendemain de cette rencontre, n’aura pas été la date historique que de nombreux observateurs et acteurs régionaux espéraient.  Les discussions ont tourné court lorsque le Président américain a demandé une fermeture immédiate du programme nucléaire nord-coréen, après avoir laissé entendre qu’il se contenterait d’une sortie progressive en amont de la rencontre.

En face, Pyongyang demandait le retrait des sanctions 2 270, 2 321, 2 371, 2 375 et 2 397 du Conseil de sécurité e l’ONU (qui bloquent ses exportations de de textile, de charbon et de fruits de mer) en échange du démantèlement du site de recherches nucléaires de Yongbyon. Mais d’après les renseignements américains, ce site permettant notamment de produire de l’uranium hautement enrichi, n’est pas le seul acteur de l’appareil nucléaire de Pyongyang. Aussi, pour Washington, une levée de sanctions revenait à indirectement subventionner le développement en cours des armes nucléaires nord-coréennes.

 

Pas d’accord plutôt qu’un mauvais accord

Trump, déjà affaibli dans son pays par le shutdown de son gouvernement autour de son mur de sécurité à la frontière mexicaine et par les condamnations à répétition dans son entourage, n’a pas accepté de prendre le risque d’un trop gros compromis. Il est plus crucial que jamais pour lui de projeter l’image d’un leader fort, qui fait avancer les choses. Aussi son administration a déployé des effrots considérables depuis le sommet pour se réapproprier la narration de ce désaveu diplomatique. C’est d’ailleurs pourquoi le conseiller à la sécurité nationale du président américain, John Bolton, s’est empressé de prendre la parole pour dire qu’il « ne considèr[ait] pas ce sommet comme un échec ».

« Le président s’en est tenu à sa ligne » et dans le même temps « a renforcé ses relations avec Kim Jong-un » assure ce partisan d’une ligne diplomatique très dure. Et finalement, le dénouement de cette rencontre ressemble en effet aux positions de Donald Trump, qui martèle ad nauseam sur la plupart des dossiers diplomatiques que « pas d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord ». Aussi, selon cette lecture, le dénouement de cette rencontre très médiatisée n’est pas un fiasco total. Les deux pays restent en bons termes et le dialogue devrait continuer.

Le négociateur historique de Corée du sud, Lee Do-hoon se rendra dans ce but aux États-Unis cette semaine. Il va tenter de faire avancer la situation. Par ailleurs, dans une démonstration de bonne volonté significative, les États-Unis et la Corée du Sud ont annoncé mettre fin à leurs exercices militaires conjoints avec la Corée du sud (Key Resolve et Foal Eagle) – considérés comme des provocations par la Corée du nord. Un cadeau qui ravira certainement Kim Jung-un. Cette décision vise à « réduire les tensions » avec Pyongyang, mais aussi à « faire économiser aux États-Unis des centaines de millions de dollars » assure-t-on à la Maison blanche.

 

D’un rapport personnel à un échec personnel

Mais à s’y pencher de plus près, ce sommet constitue un revers sérieux pour la Maison blanche. Washington a consenti à une importante concession (l’abandon des manœuvres militaires dans la péninsule) sans même obtenir un succès diplomatique en contrepartie – tout juste les deux pays ont-ils accepté de continuer à dialoguer. Trump, qui comptait sur cette rencontre pour éclipser ses problèmes personnels – en particulier les charges de son ancien avocat, Michael Cohen – n’a pas eu grand-chose à en tirer en fin de compte. En outre, son image de « deal-maker » en sort une nouvelle fois écornée, alors que les échanges entre les deux pays ont été tronqués de plusieurs heures faute de compromis possible.

« Le président a beaucoup abandonné en allant à ce sommet, en renforçant le prestige de Kim Jong-un sur la scène mondiale et en n’obtenant rien en échange de l’abandon des exercices militaires », a réagi en ce sens le président de la commission sur le Renseignement de la Chambre des représentants, Adam Schiff. « C’était un échec spectaculaire », estime-t-il, « aggravé par les déclarations obséquieuses du président sur le meurtre d’un citoyen américain, Otto Warmbier. » D’après Trump, en effet, le régime coréen n’a eu aucun rôle dans la mort de cet étudiant américain rapatrié dans le coma après son incarcération en Corée du Nord. Un déni qui passe mal.

De fait, Trump et son équipe comptait beaucoup sur le lien personnel entre les deux dirigeants pour faire avancer les négociations. Richard Haass, ancien conseiller de George H. W. Bush, a ainsi estimé que le fiasco de ce sommet doit être attribué « à une trop grande confiance dans les relations personnelles, à une mauvaise préparation et à un président persuadé de réussir ». En face, le principal négociateur de Corée du nord, Kim Hyok-chol, est un vétéran, qui travaille sur ces questions depuis 20 ans – il avait notamment participé aux pourparlers à six (Etats-Unis, Corée du Nord, Corée du Sud, Japon, Chine, Russie) du début des années 2000.

 

Ce sommet vient nous rappeler à quel point il sera très difficile de convaincre l’une des régimes les plus autoritaires et isolés du monde à se passer de l’assurance-vie qu’est une dispositif nucléaire militaire – et ce d’autant plus après le reversement de Saddam Hussein, le printemps arabe et alors que des rumeurs d’invasion en Iran vont bon train. Il nous rappelle aussi que la volonté de Trump de mettre un terme à soixante-dix ans de guerre en deux rencontres n’est tout simplement pas réaliste. Reste à voir quelle stratégie Washington adoptera lors des prochains échanges avec Pyongyang, et si la leçon a été apprise.

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