Site icon La Revue Internationale

L’humour peut-il sauver l’Ukraine ?

Beaucoup crient à la mauvaise blague. Volodymyr Zelenski est arrivé largement en tête du premier tour des élections ukrainiennes ce weekend, avec 30,4 % des voix au (contre 25% dans les sondages). Ce résultat le place loin devant le président sortant Petro Porochenko (16%), sauvé de justesse d’une élimination au premier tour, et l’ex-Première ministre Ioulia Timochenko (14%), dont c’était la troisième tentative infructueuse de briguer la présidence. Il bénéficie ainsi d’une avance considérable pour le second tour, qui se tiendra le 21 avril.

Le candidat du dégagisme

Zelenski est apparu sur la scène politique il y a à peine un an. L’acteur et star du stand-up s’est depuis fait le chantre de la lutte anticorruption. Je « veux vraiment aider l’Ukraine, (…) aider les gens » assure-t-il. De fait, il doit sa popularité à son rôle dans la série Slouga Naroda (« le serviteur du peuple »), dans laquelle il incarne un prof d’histoire devenu président de l’Ukraine par accident. Depuis, le candidat joue habilement de cette proximité entre fiction et réalité. Il surfe sur son image d’outsider largement basée sur son rôle. La dernière saison était justement diffusée juste avant le premier tour.

Grâce à ce positionnement neuf, il aura su capter le vote contestataire « contre Porochenko, contre les vieilles élites » analyse Vladimir Fessenko, du centre d’études politiques Penta. Les ukrainiens sont en effet déçus par la classe dirigeante corrompue et les luttes de clans incessantes entres leurs élites politiques et économiques. Devant deux candidats « classiques » occupées à s’écharper à coups d’accusations de fraude et fragilisées par l’usure qui vient avec l’exercice du pouvoir, les électeurs se sont massivement tournés vers un humoriste qui a fait de la satire des élites au pouvoir sa spécialité.

Petro Porochenko et Ioulia Timochenko auront sous-estimé leur compétiteur jusqu’à la dernière minute – bien trop tard pour inverser la vapeur.

Une Ukraine divisée

Si Zelenski a jusque récemment échappé aux plus gros des attaques, le second tour promet une riposte musclée de Porochenko, totalement en berne dans les urnes. « Le président tentera de discréditer au maximum son adversaire, en mettant en avant ses liens avec Kolomoïski, la Russie, ou encore ses origines juives. L’équipe de Zelenski, elle, se mobilisera pour transformer le scrutin en référendum contre Porochenko » note Vladimir Fessenko.

Les liens du jeune candidat avec l’oligarque Ihor Kolomoïsky, dont la chaine de télévision n’a cessé d’en chanter les louanges, lui sont en effet souvent reprochés. Pourtant, Zelenski s’est entouré de personnalités politiques telles que l’ex-ministre des Finances de Porochenko, Oleksandr Danylyuk, considéré comme un ennemi du magnat. Ce dernier incarne lui aussi la lutte anticorruption. Il avait d’ailleurs démissionné constatant son incapacité à changer les choses au sein de l’actuel gouvernement.

Souvent targué de populisme, le russophone qui affiche un profil pro-occidental ne joue absolument pas des clivages de la société ukrainienne. Au contraire, il joue aux rassembleurs, ce qui le rapproche plus d’une figure comme Barak Obama que d’un Trump ou un Salvini. Le bât blesse en revanche côté expérience. « Oui, je n’ai pas d’expérience, mais j’ai suffisamment de forces et d’énergie. Bien sûr que je n’ai pas toutes les connaissances, mais je suis en train d’apprendre (…) Je ne veux pas avoir l’air d’un imbécile » écarte-t-il.

Difficile de savoir exactement ce que ce candidat « hors sol » réserve au pays tant il esquive les interviews traditionnelles, préférant une com bien huilée sur les réseaux sociaux. Mais s’il gagne, Zelenski se retrouvera catapulté à la tête d’un pays de 45 millions d’habitants, enlisé dans une quasi guerre civile, plombé par une économie au bord de l’asphyxie. Sans alliances au sein des structures de l’ordre (police, services secrets) ni soutien au Parlement sa tâche promet d’être herculéenne.

Quitter la version mobile