L’offensive sur Tripoli par le maréchal Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), lancée le 4 avril dernier s’est enlisée dans une guerre de position meurtrière. Les forces du maréchal n’ont pas été en mesure de pénétrer dans la capitale, tenue par le Gouvernement d’union nationale (GNA), malgré ses pronostics d’une conquête rapide du pouvoir.
L’homme fort de Libye, dont les forces tiennent l’est du pays, ne jette toutefois pas l’éponge. Il a émis de lundi un mandat d’arrêt à l’encontre du Premier ministre Fayez al Serraj, dont la légitimité a été reconnue internationalement, soulignant sa détermination à prendre les rênes du pays.
Pendant ce temps, la situation se dégrade rapidement pour la population libyenne : lundi, le docteur Syed Jaffar Hussain, représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en Libye fait état 121 morts et près de 600 blessés, notamment des civils et du personnel médical. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU a, pour sa part, comptabilisé plus de 13 500 personnes déplacées.
La diplomatie du fait accompli
Malgré l’impasse militaire, Haftar a redit sa détermination à prendre le contrôle de la capitale Libyenne à qui veut l’entendre. Il n’en est de fait pas à son coup d’essai : en 2011 il avait en effet tenté de s’emparer de Benghazi, avant d’être stoppé par une intervention de la communauté internationale. Carton jaune. Aussi, il semblerait qu’il joue sa peau avec cette offensive. C’est pourquoi il multiplie depuis quelques jours les visites auprès de ses soutiens afin d’obtenir une aide concrète sur le terrain. Il est ainsi allé demander une aide aérienne au Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi lundi.
Les Émiratis arabes unis lui fournissent déjà du matériel militaire sophistiqué et les Saoudiens ont promis plusieurs dizaines de millions de dollars pour soutenir son offensive. Haftar partage notamment avec ses pays une haine tenace à l’encontre des Frères musulmans, qui maintiennent une certaine influence dans les cercles du gouvernement officiel. Haftar accuse par ailleurs Doha et Ankara, deux puissances rivales de Ryiad, de fournir des armes à ses rivaux. Mais si rien ne bouge, le soutien de ses alliés pourrait bien se faire plus distant.
Pour parvenir à l’emporter, Hafar devra convaincre les milices armées de l’ouest libyen de se joindre à sa cause. Des « gangs, de criminels et de jihadistes qui changent de camp et procèdent à des alliances fugaces » d’après le centre de réflexion Soufan Center. Le maréchal « doit s’inspirer du système mis en place par (l’ancien leader libyen Mouammar) Kadhafi en son temps pour contrôler le territoire dans la durée, sinon il n’a aucune chance de refaire l’unité territoriale du pays sous un même gouvernement » analyse pour sa part Mathieu Guidère, professeur à l’Université de Paris 8 spécialiste du monde arabe.
Un revers pour la communauté internationale
Le pari de Hafar de devenir le Sissi libyen a fait voler en éclat le processus de paix que tentait péniblement de mettre en place l’ONU. Huit ans après le début du soulèvement qui renversa le régime de Mouammar Kadhafi, la paix n’a jamais emblé aussi loin. Et ce alors qu’une rencontre était prévue de longue date le 14 avril à Ghadamès, réussissant pour la première fois depuis 2011 tout le spectre politique libyen. Beaucoup voyaient dans cet éventement une porte de sortie à la guerre tribale qui a plongé la Libye dans le chaos.
Sans doute ce qu’a voulu éviter le maréchal Hafar, partisan d’un régime militariste à rebours des idéaux de la révolution de 2011 et de l’ONU. Il aura donc a misé sur le ras-le-bol de la population vis-à-vis du désordre milicien pour tenter de se tailler une part léonine en prenant tout le monde de vitesse. Il aura à ce titre également profité des divisions de la communauté internationale – en particulier du monde arabe – pour s’en prendre directement au « gouvernement d’accord national » mis en place par les Nations unies elles-mêmes en 2016.