Site icon La Revue Internationale

Première victime collatérale des violences identitaires en Irlande du Nord

Nouvelle IRA

La journaliste irlandaise Lyra McKee a perdu la vie, dans la nuit de jeudi 18 à vendredi 19 avril, s’étant accidentellement retrouvée au milieu d’échanges de tirs à Creggan, un quartier du nord de Londonderry, en Irlande du Nord. La jeune femme couvrait un raid mené par la police dans plusieurs logements de ce quartier de logements sociaux, siège de dissidents républicains. Pour rappel, la ville de « Derry » est célèbre pour la tragédie du Bloody Sunday, le 30 janvier 1972 lors de laquelle quatorze personnes (manifestants pacifistes et passants) ont été abattus par l’armée britannique.

L’objectif de l’opération de jeudi dernier était de prévenir contre des probables violences lors des traditionnelles manifestations du lundi de Pâques. Chaque année, en effet, les nationalistes catholiques protestent à cette occasion contre la séparation de l’Irlande en deux. Ce lundi, la Nouvelle IRA a admis ce mardi sa responsabilité dans la mort « tragique » de la journaliste et présenté « ses sincères et entières excuses à sa partenaire, à la famille et aux amis de Lyra McKee pour sa mort ». Le communiqué poursuit en expliquant qu’elle se « tenait à côté des forces ennemies lourdement armées ».

Ce retour d’une rhétorique de guerre ouverte fait craindre une escalade des violences communautaires en Irlande du Nord, où une paix fragile ne dure que depuis 20 ans. Pendant plus de 30 ans, les républicains nationalistes (catholiques), partisans de la réunification de l’Irlande, et loyalistes unionistes (protestants) qui défendent bec et ongles l’union du Royaume-Uni, se sont affrontés en Irlande du Nord. La période des « Troubles » aura tué près de 3 500 personnes et laissé des divisions profondes dans la société.

Les prémices de nouveaux « Troubles » ?

La guerre civile d’Irlande du Nord aura finalement trouvé son terme avec la signature de l’accord du Vendredi saint en 1998. L’IRA, principal groupe armé républicain, avait même fini par renoncer à la violence politique en 2005. Mais l’explosion, en janvier, d’une voiture piégée à Londonderry et la découverte de plusieurs paquets contenant des engins explosifs, dans les aéroports de Londres City et Heathrow ont fait craindre une reprise ouverte des hostilités.

Le décès de Lyra McKee marque toutefois un nouveau cap inquiétant – et la première victime collatérale depuis des années. Elle montre aussi qu’une nouvelle génération d’activistes violents, qui n’ont pas connu l’horreur des Troubles, est prête à reprendre les armes. Ces derniers s’attachent à une image d’Epinal fictive qui leur à été transmise par les éléments les plus radicaux de la génération précédente pour contester les acquis de 1998.

Les six principaux partis politiques d’Irlande du Nord – y compris les unionistes et les républicains, engagés dans une guerre de tranchée depuis deux ans qui prive Belfast de gouvernement – ont publié une rare déclaration commune. « Le meurtre de Lyra constitue une attaque contre tous les membres de cette communauté, une attaque contre la paix et le processus démocratique » y estiment-ils. Si pour l’instant les deux communautés sont farouchement opposées aux violences, une multiplication de telles tragédies pourrait bien à terme faire basculer l’opinion.

Des tensions ravivées par le Brexit

Il existe en effet un consensus politique de rejet de la violence, mais toutes les cartes ne sont malheureusement pas aujourd’hui aux mains des Irlandais. De fait, ces tensions communautaires ont flambé avec les incertitudes qu’ont fait peser le Brexit sur le devenir de la frontière nord-irlandaise, et la liberté de circulation. Par ailleurs, l’Irlande du Nord a voté dans sa grande majorité pour un maintien au sein de l’UE. Enfin, les unionistes (DUP) ont été l’un des principaux obstacles à la sortie « ordonnée » de l’Union négociée par Theresa May, bloquant sa majorité sur la question du backstop, ce qui a suscité la haine des europhiles et des républicains dans leur propre pays.

Aussi, la mise en concurrence de l’Unité du Royaume-Uni et de la complexe question de l’identité irlandaise garantie par les accords du Vendredi saint a fait reculer le processus de paix – une situation que sera sans aucun doute exploitée par les partisans comme les adversaires du Brexit, avec des conséquences potentiellement désastreuses. « Les politiciens feraient bien d’essayer de sortir de l’incertitude (…) pour éviter que des organisations comme la Nouvelle IRA et d’autres ne comblent ce vide politique » notait justement le Pr Kieran McConaghy, de l’Université St Andrews en Écosse.

« Pour le moment, les républicains dissidents ne bénéficient pas d’un soutien qui leur permette de représenter une menace pour le processus de paix », estime pour sa part Martin Melaugh, chercheur à l’université d’Ulster et directeur du Conflict Archive on the Internet. Il met toutefois en garde : « cet enjeu politique fort alimente le ressentiment de la population, et que les groupes dissidents ne se nourrissent de cette colère. L’impact du Brexit sur la frontière nord-irlandaise pourrait mettre le feu aux poudres ».

Quitter la version mobile