Site icon La Revue Internationale

Volodymyr Zelensky fait tomber le quatrième mur

Porté par un véritable raz-de-marée (73,2 % des voix), Volodymyr Zelensky a été élu Président de la république ukrainienne ce dimanche. Cet outsider total était déjà arrivé largement en tête lors du premier tour, aussi sa victoire, si fulgurante soit-elle, n’est pas une surprise totale. Cet humoriste s’est fait connaître depuis plusieurs années avec des sketchs dans une émission populaire, KVN (abrégé de « Ligue des personnes amusantes et inventives ») avant d’endosser le rôle prophétique d’un professeur d’histoire qui devient par hasard le président du pays dans un série.

Lors de son allocution de victoire, Zelensky a promis de ne « pas laisser tomber » les Ukrainiens et s’est engagé à améliorer les conditions dans le pays pour enrayer la fuite de ses travailleurs. Il a aussi insisté sur la portée historique de son élection : « Je ne suis pas encore président, je peux m’adresser comme citoyen à tous les pays de l’ex-URSS et je peux leur dire : tout est possible ! » Tout est certes possible, mais rappelons qu’il doit en large partie de sa victoire à l’échec du gouvernement précédent à lutter contre la corruption endémique qui gangrène les cercles du pouvoir en Ukraine.

Une envie de renouveau

Les électeurs ukrainiens ont donc préféré un novice total à l’ancien establishment corrompu, enlisé dans des poses nationalistes et bellicistes qui ont sensiblement appauvri le pays (l’’ukrainisation’ linguistique des zones russophones du pays était une ligne rouge pour son prédécesseur et candidat malheureux à la présidentielle, Petro Porochenko). Zelensky est une figure de ce nouveau populisme « sympa », et proeuropéen qui apparait en réponse au national-populisme. Rappelons qu’il a promis de « casser le système ». Son ton résolument combattif et optimiste a su convaincre.  

« Il est le seul parmi les candidats à ne pas avoir fait campagne sur la peur », résume le politologue Vladimir Fessenko.  Zelensky misait en effet plutôt sur l’espoir – comme un certain Barack Obama, candidat que rien ne semblait arrêter, si ce n’est l’exercice du pouvoir quand on est porté là par une part d’irrationnel, qui pousse les électeurs à s’attendre à des miracles. Et ici, l’excitation est réelle : « Nous voyons la naissance d’un projet politique réellement unique », écrivait, avant le vote, le politologue Balazs Jarabik, du centre Carnegie. « Un reality show dans lequel chacun peut participer. »

Le grand renouveau

Ayant principalement fait campagne autour de sa personne et de sa volonté de lutter contre la corruption ainsi que l’injustice sociale, on en sait assez peu sur la politique concrète que Zelensky va mener. On sait que son programme sera d’orientation libérale (dérégulations, privatisations, amnistie fiscale, renforcement du pouvoir des agences anticorruption), mais guère plus. « Est-ce que c’est un handicap ? Est-ce qu’un programme, ce n’est pas une série de promesses qui n’engagent que ceux qui les écoutent ? » s’amuse Pierre Lorrain, spécialiste du pays.

« Il y a une vingtaine de points très précis qui font que si on l’applique, l’Ukraine peut sortir de la spirale de la corruption » tempère-t-il toutefois. Ce qui est certain c’est que les cinq années à venir vont tester les limites de ce « bon sens » qui pousse tant de disruptifs au pouvoir (Emmanuel Macron ne fait pas exception). La partie s’annonce rude : la corruption s’est développée sur la faiblesse de l’Etat et des institutions, les seuls outils dont dispose le nouveau président. Aussi, il fera face à des résistances énormes au sein de l’appareil administratif du pays et du Parlement – bien qu’il puisse le dissoudre.

Du nouveau à l’est

Point majeur dans l’avenir politique ukrainien, l’élection de Zelensky augure de meilleures relations avec le voisin russe – avec qui l’Ukraine est officieusement en guerre à travers du conflit civil du Donbass. Pour rappel, l’homme est né dans centre russophone et industriel de l’Ukraine – il s’exprime toutefois plus volontiers en ukrainien qu’en russe. Il dit son intention de « relancer » le processus de paix avec la Russie et « arriver à un cessez-le-feu », bien qu’il considère Moscou comme un « ennemi ». Une approche pragmatique qui tranche avec la posture va-t’en-guerre de son prédécesseur.

Pour le nouveau Président, la priorité est de reprendre le contrôle sur le bassin houiller et industriel de l’est du pays, actuellement sous contrôle séparatiste, afin de relancer l’économie nationale. La seule voie pour y parvenir est la désescalade. La voie promet ici aussi d’être ardue – et ce d’autant qu’il est paradoxalement perçu comme un antirusse. « C’est un peu tôt pour évoquer des félicitations et une possibilité de travailler ensemble » laisse-t-on savoir au Kremlin. Pas de louange, donc, mais pas non plus les attaques systématiques dont faisait l’objet Porochenko.

Si cette victoire fait souffler un vent d’espoir dans un pays plombé par une guerre intestine qui s’éternise, au bord de la faillite économique et morale, la partie est loin d’être gagnée. Aujourd’hui Zelensky et le peuple ne semblent faire qu’un, et il pourra compter sur cette proximité pour lancer ses réformes en marche forcée. Mais l’exercice du pouvoir éloigne du peuple – en particulier les décisions difficiles. Et nombreuses sont celles qui l’attendent. Aussi une question demeure, cette ancienne vedette de la télévision sera-t-il prêt faire ce qu’il faut, quitte à être mal aimé de son peuple ?

Quitter la version mobile