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Juncker : l’heure du bilan

Les dirigeants européens se retrouvaient jeudi dernier à Sibiu, en Roumanie, pour définir leur agenda stratégique jusque 2024. Ce sommet aura donné lieu aux premières tractations entre les principaux groupement politiques européens sur la répartition des postes clés pour la prochaine mandature des institutions bruxelloises. « Sibiu symbolise notre unité, notre diversité » a commenté Jean-Claude Juncker, quia abandonne son fauteuil de président de la Commission. C’est, assure-t-il, ce qui a justifié le choix de cette ville roumaine, bâtie au 12e siècle par des colons saxons. Mais sur un autre degré de lecture, cette ville pensée comme un avant-poste pour repousser les invasions ottomanes s’avère également être conclusion logique d’un cycle où l’Europe s’est rêvée en forteresse.

Ce rendez-vous a été l’occasion de faire le bilan de « la Commission la dernière chance », comme il l’avait surnommée en 2014, à son arrivée aux manettes. Pour l’intéressé, catapulté à la tête du plus grand marché mondial sur fond de tempête financière et identitaire, le bilan est plutôt positif. « Nous avons créé 12,6 millions d’emplois, nous sommes retournés au niveau d’investissements avant la crise de 2007 ». Juncker s’est félicité d’une « septième année de croissance d’affilée » lors de laquelle « 240 millions de personnes ont un travail en Europe ». De fait le taux d’emploi est passé de 69% à 75%, le chômage a baissé de 7%, les salaires ont augmenté de 5,7% et l’euro reste stable.

Deux grands ratés

A l’heure du bilan, la plupart des participants ont soigneusement évité question du Brexit, qui a monopolisé le débat européen ces derniers mois. « L’UE veut mettre cette crise de côté pour mieux regarder vers l’avenir », confiait un diplomate. Mais alors que se prépare l’après-Juncker, ce dernier n’aura pas manqué de faire son mea culpa, comme pour tenter de se justifier une dernière fois, sur les deux points noirs de son mandat. Aussi, il considère le Brexit comme une « erreur personnelle ».

Juncker estime en effet qu’ « écouter Monsieur Cameron qui m’a demandé de ne pas intervenir dans la campagne du Brexit » était une décision peu avisée. « C’était une erreur de ne pas intervenir et de ne pas interférer dans la campagne du référendum. Nous aurions été les seuls à pouvoir démonter tous les mensonges qui circulaient à l’époque » a-t-il renchéri. Une confession un rien tardive, alors même que le divorce, plus congestionné que jamais, a été une nouvelle fois reporté au 31 octobre.

Autre regret, le dirigeant européen a admis avoir « attendu trop longtemps avant de réagir » aux révélations du scandale Luxleaks en 2014. « Ce fut une grave erreur. Il m’a fallu deux semaines pour réagir. J’aurais dû le faire immédiatement » a-t-il concédé. De fait, l’ancien Premier ministre du Grand-Duché (1995 à 2013) venait tout juste de quitter ses fonctions à peine un an plus tôt, alors que le scandale éclaboussait les mécanismes d’évasion fiscale mis en place dans son propre pays.

De fait, il se trouvait dans une situation délicate qui donnait à toute indignation des airs de tartufferie. Mais il n’est pas interdit de reconnaitre ses erreurs ? Aussi sa prise de position pour le moins timorée semble particulièrement peu courageuse d’autant que la justice luxembourgeoise a récemment accordé le statut plein et entier de lanceur d’alerte à Antoine Deltour, l’homme responsable de la fuite de connées à l’origine du scandale.

 « Nous devons lutter contre les populistes »

Ces dénis– qui ont mené à un blocage de toute réforme visant à instaurer plus de justice fiscale en Europe – auront certainement contribué à la désillusion des électeurs européens envers leurs institutions communautaires et au climat tendu des élections à venir. Rappelons ainsi que le président du Conseil européen sortant Donald Tusk a récemment été comparé à Hitler et Staline. « Nous devons lutter contre les populistes » a réagi Juncker. « De plus en plus d’hommes politiques parlent du besoin d’écouter plus les citoyens », notait pour sa part le Président roumain Klaus Iohannis, plus réaliste.

D’après les sondages, la première victime de cette politique de l’autruche devrait être le Parti Populaire européen (PPE), actuellement majoritaire au Parlement, qui a porté Juncker et Tusk à leur poste. En plus d’un recul électoral, le parti semble s’être brouiller avec l’ « enfant terrible » et insatiable provocateur, Viktor Orban. Ce dernier ne soutient plus Manfred Weber comme tête de liste de la formation démocrate chrétienne – qui lui-même dit ne pas avoir besoin de son soutien pour gagner.

A ce rythme, il n’est pas acquis que le parti se retrouve une nouvelle fois majoritaire, ce qui pénaliserait le fonctionnement d’institution européennes déjà très critiquées pour leur efficacité relative. Et ce alors même que les conclusions du mandat « Juncker » soulignent la nécessité d’une relance de la construction européenne – le statu quo étant responsable d’un nombre croissant de frustrations chez les europhiles comme chez les eurosceptiques.

Pour avancer, il faudra toutefois non seulement convaincre les partis, mais aussi certains états membres – les Pays-Bas, l’Autriche et l’Allemagne rechignant encore à soutenir des réformes où ils devraient engager leur solidarité. Dans le même temps, le clan nationaliste est bel et bien en train de prendre forme autour de la Hongrie et la Pologne. Et s’il est trop divisé pour pouvoir proposer une ligne politique unie, il risque bien de jouer à plein son rôle de minorité de blocage.

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