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Philippines : Duterte consolide son emprise lors des élections de mi-mandat

Lundi 13 mai, quelques 62 millions d’électeurs philippins se rendaient aux urnes pour les élections de mi-mandat – un vote de sanction ou de validation de la politique du Président élu trois ans auparavant. Aussi, l’actuel dirigeant, le tumultueux Rodrigo Duterte, jouait gros, dans ce vote plébiscite de sa politique virilise et disruptive, censée mettre un terme à l’inefficacité des politiques traditionnelles. Les bons résultats de ce scrutin vont lui donner les coudées franches pour continuer – voir accentuer – sa politique très controversée, notamment pour son projet de rétablissement de la peine de mort.

Pas moins de 18 000 mandats étaient remis en jeu, parmi lesquels plus de 200 maires et gouverneurs et 245 sièges à la chambre des représentants – où le PDP-Laban du Duterte devrait conserver la majorité. Plus important, cependant, le parti du Président remporterait neuf des douze sièges en jeu au Sénat. Cet organe, qui compte 24 membres et est renouvelé par moitié tous les six ans, s’est illustré comme le principal contre-pouvoir au Président. En 2017, par exemple, il a rejeté le projet de loi punissant de mort ceux qui seraient pris en possession de 500 grammes de marijuana ou 10 grammes de cocaïne, d’héroïne ou d’ecstasy.

Parmi les nouvelles têtes au sein de la cour haute, deux « Duterte boys », son ancien assistant personnel Bong Go et le très sulfureux ex-chef de la police, Ronald dela Rosa, qui a dirigé sa campagne de répression contre le trafic de drogue, et a multiplié les exécutions extrajudiciaires. Cette nouvelle position de force au Sénat est toutefois à prendre avec précaution. Afin de s’assurer un nombre maximal du sièges, Duterte a brassé large, et il n’est pas certain que tous les élus qu’il a su regrouper le suivent sur tous les votes – par exemple son projet de réforme fédéraliste de la constitution qui renforcerait encore davantage les prérogatives de l’exécutif.

Une popularité à deux vitesses

Le succès de parti de Dutrete est un phénomène complexe. Son mandat a vu une légère augmentation des salaires. Dans le même temps, il a mené une politique très libérale qui a su séduire le milieu des affaires philippin. Mais en réalité, il a principalement bénéficié des politiques mises en place par son prédécesseur, Benigno Aquino – dit Noynoy. C’est ce dernier qui a su relancer l’économie du pays, avec aujourd’hui un taux de croissance entre 6 et 7%. Duterte a pour sa part principalement opéré un transfert du pouvoir du nord industrialisé au profit du sud, essentiellement agricole. Seulement, on estime aujourd’hui que 10 à 15% du PIB philippin dépend encore des transferts d’argent de l’étranger.

Mais plus que ses politiques économiques, c’est son franc-parler et son action musclée pour faire face à la paralysie du système judiciaire qui lui valent le soutien populaire. Il manque en effet quelques 50 000 magistrats aux Philippines, et les prisons sont aujourd’hui occupées à 600% de leur capacité. Ce vote plébiscite en outre sa campagne antidrogue très brutale. Pour les observateurs internationaux, cependant, cette dernière a viré au bain de sang, avec 5000 victimes d’après la police, 20 000 d’après les ONG de défense des droits de l’homme. De fait, elle a principalement touché les consommateurs et vendeurs de rue, sans toutefois atteindre les chefs de cartels.

Pour l’opinion publique, Duterte a les qualités de ses défauts. Si les électeurs apprécient le fait que leur dirigeant s’attaque de front aux grands problèmes sociétaux du pays, ils n’approuvent pas toujours de la violence de ces procédés. « La guerre qu’il mène contre le trafic de drogue donne un résultat paradoxal dans l’opinion. D’un côté la population approuve ce combat et l’accepte, de l’autre elle n’est pas d’accord avec les méthodes employées », note ainsi David Camroux, chercheur à Sciences-Po spécialiste du pays. Duterte compte désormais rabaisser l’âge de la responsabilité pénale de 15 à 12 ans, preuve qu’il n’est pas prêt à changer de ligne.

Vers une nouvelle constitution ?

Fort de ce succès, Duterte va pouvoir lancer sa politique de réforme constitutionnelle,,visant à instaurer une « présidence impériale ». Au cours de la campagne, l’opposition n’a cessé de mettre en garde contre le fait qu’il pourrait abolir la limite de cumuls des mandats présidentiels et pourrait ainsi en théorie prolonger son mandat jusqu’en 2030. Mais l’intéressé explique à qui veut l’entendre qu’il ne se représentera pas étant trop âgé (74 ans). En outre, certains s’inquiètent de l’indépendance du Sénat. « Le président fait déjà pression sur les sénateurs, il en a mis deux en prison et il va continuer. Le Sénat est en train de perdre son rôle de contre-pouvoir, c’est inquiétant » analyse David Camroux.

Son projet de réforme propose aussi la création de 18 régions fédérées avec leurs propres assemblées régionales et d’une nouvelle Chambre fédérale des représentants composée de 400 membres élus par une combinaison de votes directs (en fonction des circonscriptions géographiques) et de représentations proportionnelles (pour les secteurs marginalisés). Ce système risque de renforcer les dynasties politiques, sortes de lignée par le sang, déjà très présentes aux Philippines. On estime qu’elles détiennent actuellement 73 des 81 provinces du pays. Elles représentent 70 % des législateurs et assurent des passations familiales pour contourner la limitation du mandat.

Ainsi, c’est la fille du Président, Sara – à laquelle on prête de potentielles ambitions présidentielles en 2022 – qui a récupéré le poste de Maire de Davao qu’occupait Duterte. Son fils aîné Paolo a pour sa part obtenu un siège à la chambre des représentant. La population ne semble toutefois pas choquée outre mesure la pratique du pouvoir de la famille présidentielle. « Les valeurs de la démocratie libérale ne sont pas enracinées aux Philippines. Le discours sur les droits de l’homme n’a que peu d’emprise. Dans un pays où la structure étatique est faible, le peuple demande plus de sécurité », conclut l’expert.

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