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Réélection de Narendra Modi: la victoire d’un homme contre un parti

La victoire est sans appel pour le Premier ministre indien sortant Narendra Modi. Le BJP (Bharatiya Janata Party), son parti dont l’emblème est la fleur de lotus, a emporté la majorité absolue des sièges de la Lok Sabah, la chambre basse du Parlement indien (au moins 303 sièges sur 542 au total, soit 21 de plus qu’en 2014).  Un véritable « tsuNaMo » a-t-il lui-même tweeté à l’annonce des résultats. C’est aussi la première fois qu’un parti conserve sa majorité absolue d’une élection à l’autre depuis 1984.

La formation du fils de Rajiv Gandhi et petit-fils d’Indira Gandhi, principale figure de l’opposition n’aura pas su convaincre. Elle n’obtient que 52 sièges, soit mois de 10% des suffrages (+ 8 sièges par rapport à 2014, tout de même). Pire encore, Rahul Gandhi a même perdu son siège traditionnel à Amethi, en Uttar Pradesh. La sanction d’autant plus dure que 67% des électeurs ont participé à ce vote, soit 900 millions de personnes – un record.

De fait le parti du Congrès paie toujours les pots cassés de 10 années de pouvoir – marquées par des scandales de corruption à répétition lors du second mandat du premier ministre Manmohan Singh. Mais plus largement, l’opposition, qui promettait notamment un revenu minimal pour obtenir le soutien des classes populaires (plus de 50 % de la population) a été pénalisée par une erreur stratégique : la campagne ne s’est pas jouée sur un terrain économique.

Un vote identitaire

Modi a en effet su déplacer les enjeux du scrutin sur le terrain de la sécurité nationale et des divisions religieuses en raison des tensions croissantes avec le voisin pakistanais. Dans le sillage de l’attentat à la voiture piégée qui a tué 40 membres des forces indiennes de sécurité en février au Cachemire, un responsable du BJP avait ainsi déclaré que « voter pour la fleur de lotus » revenait à « lâcher une bombe de 1 000 kg sur les camps terroristes » du Pakistan. Le ton était donné.

« Modi s’érige en protecteur des Indiens contre la menace extérieure pakistanaise, chinoise et islamiste », explique le chercheur du CERI, Christophe Jaffrelot. Une prise de position cruciale, pour un Premier ministre qui présentait un bilan mitigé : « Le BJP a réussi à faire diversion en faisant passer au second plan les questions de chômage ou de croissance et en insistant davantage sur le patriotisme et le sentiment religieux », explique Gilles Verniers, professeur de sciences politiques à l’université Ashoka.

« Son national-populisme s’exprime d’abord par le rejet des élites, notamment l’establishment du parti du Congrès, au nom de la plèbe dont il dit être issu », estime Christophe Jaffrelot. Il a en effet joué la proximité pour iobtenir le soutien de l’électorat populaire. Paradoxalement, Modi a dépensé six fois plus que le Congrès en publicités politiques sur Facebook et Google. Selon le Centre for Media Studies, les partis ont dépensé près de 8,6 milliards de dollars américains lors des élections

La victoire d’un homme

Lors de la campagne, Modi a pu profiter d’un hyperprésence médiatique, étant présent a à peu près 80 % du temps dans les médias indiens – ce à quoi il faut ajouter l’absence de débat entre les principaux concurrents. Une hégémonie qui montre bien la mise au pas des médias qu’il a opérée – propre à tous les dirigeants populistes du monde. Plus largement, la communication autour de Modi a été très étroitement contrôlée, et a poussé très loin le culte de la personnalité.

Ce fils de vendeur de thé originaire de l’État du Gujarat (Nord) s’est en efftbâti une image sur mesure. Il prétend même être originaire d’une famille d’intouchables (dalits), afin de s’attirer la sympathie des électeurs les plus démunis. Dans le même temps ; il se présente comme le « chowkidar » – ou gardien de la nation. Il joue également sur la fibre spirituelle des hindous, s’étant retiré au dernier jour du scrutin dans une grotte de l’Himalaya pour une retraite méditative, le tout filmé par la télévision.

Et ce vote est d’ailleurs avant tout une victoire pour l’autoritarisme et le nationalisme hindou. Modi, durant sa jeunesse, a en effet fait partie du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), organisation paramilitaire qui défend l’idée que l’Inde appartient aux hindous (majoritaires à 80% contre 14% de musulmans). Une ligne idéologique qu’on retrouve dans sa politique nationale. « Les promesses et le programme du Congrès n’ont pas imprimé, comme si les électeurs ne voulaient en réalité qu’un dirigeant à la forte personnalité », estime l’analyste politique Neerja Chowdhury.

Des difficultés économiques

Il est déjà prévu que la victoire de Modi stimule les marchés financiers, ce dernier s’étant attiré les faveurs des investisseurs par sa politique de réformes économiques et d’ouverture propice à la croissance. Il dispose également d’un fort soutien populaire après avoir assurée la construction de toilettes dans les villages, la modernisation du réseau électrique et routier (un projet lancé en 2010, avant son élection, mais dont il aura su tirer les fruits).

Il a aussi mené une réforme importante, créant un nouveau cadre de politique monétaire relativement efficace contre l’inflation. Mais malgré cela, son bilan économique et social global reste très mitigé. Si l’Inde affiche un taux de croissance de 6,7% – soit le plus élevé des BRICS – il est largement lié à des facteurs extérieurs comme la baisse prix du pétrole (l’Inde est un importateur net), reprise de l’économie occidentale après le passage à vide commencé en 2009.

Aussi, le taux d’investissement en Inde est plutôt bas au vu de sa croissance et de son potentiel – en comparaison avec la Chine et de l’Indonésie notamment. En outre, Modi n’a pas tenue sa promesse de la campagne de 2014 de créer 25 millions d’emplois. Au contraire, le chômage a triplé en six ans et le secteur agricole est au plus mal. En outre de nombreux actif ont connu une grave précarisation et le taux de chômeurs ne cherchant plus d’emploi a largement progressé – en particulier chez les jeunes.

Afin de dissimuler ces ratés le gouvernement a fait interdire la publication des indices économiques et sociaux annuels – ce qui a poussé les dirigeants des grands instituts statistiques à démissionner et faire fuir ces données dans la presse. Aussi, ce retour triomphal se fait en un sens en dépit de son bilan économique. « On assiste à un découplage entre la performance du gouvernement, dont le bilan est mitigé, et sa performance politique, à savoir son écrasante victoire électorale », conclut Gilles Verniers.

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