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Hongkong vent debout contre un projet de loi d’extradition vers la Chine

La marée humaine qui défile dans les rues d’Hong Kong ne désemplit pas. La province semi-autonome de Chine a connu ce dimanche la manifestation la plus importante depuis sa rétrocession, en 1997. Avec 1,3 millions de manifestants, c’est près d’un septième de la population qui a s’est mobilisé contre le vote d’une loi d’extradition des citoyens hongkongais. Quelques jours auparavant, jeudi 6 juin, plus de 3 000 avocats vêtus de noir avaient défilé silencieusement dans les rues de Hong Kong afin d’exprimer leur incompréhension et leur opposition à cette loi.

Ce projet vise à désosser le processus actuel d’extradition vers les 20 pays avec lesquels Hong Kong s’est engagée – en particulier la Chine populaire continentale, ce qui fait craindre aux habitants de la péninsule que la répression politique s’y aggrave encore un peu plus. « Après les contrôles et les pressions de Pékin sur le système politique et sur la liberté de presse, la Chine communiste s’attaque maintenant à notre système juridique, dernier rempart encore solide de notre État de droit » a réagi un avocat hongkongais qui a préféré garder l’anonymat.

70 ONG locales et internationales ont appelé à l’abandon de cette initiative, qui porte un coup à l’indépendance judiciaire de Hongkong, prévue par le principe « un pays, deux systèmes » mis en place en 1997. Fait surprenant, la contestation contre cette loi s’est étendue aux milieux d’affaires qui craignent qu’il ne réduise l’attractivité de la place financière de Hong Kong, considérée comme un havre de paix où l’État de droit reste toujours appliqué. Ces derniers avaient été très critiques du mouvement étudiant des parapluies qui avait paralysé la ville pendant plusieurs mois en 2014.

L’érosion du principe « un pays deux systèmes »

Réagissant à l’importance de la contestation, le secrétariat du conseil législatif de Hongkong a annoncé que l’examen du texte était « reprogrammé ultérieurement », laissant croire que le projet de loi était reporté. Cette annonce avait pour but de dissuader d’autres manifestants de rejoindre un mouvement bien plus important que ce que les autorités avaient prévu. Peu après, la cheffe de l’exécutif de Hong Kong, Carrie Lam, a toutefois rejeté toute éventualité de retirer le projet de loi. Une annonce qui a provoqué l’ire des manifestants, convaincus qu’elle n’est guère plus que la voix de Pékin.

Mme Lam a été « élue par un comité exécutif 90% dominé par des représentants de l’establishment pro-pékin », rappelle Jean-Pierre Cabestan, directeur du département de sciences politiques à l’université baptiste de Hong Kong, directeur de recherche au CNRS et chercheur associé à Asia Centre. « Elle n’a pas été élue démocratiquement et représente beaucoup plus Pékin que la communauté de Hongkong » note l’expert. Ce dernier n’est pas très optimiste sur les chances d’un recul : « Elle reste inflexible sur cette loi pare que Pékin lui a donné l’ordre de la faire passer ».

De fait, ce texte consacre encore un peu plus la lente érosion du principe « un pays deux systèmes » (valable jusqu’en 2047). L’indépendance de la région se vide ainsi progressivement de son sens, comme l’a montré l’intransigeance du Parti communiste chinois (PCC) lors du Mouvement des parapluies. Cela s’est d’ailleurs accompagné d’une dégradation en termes de libertés publiques et politiques, mais aussi de la liberté de publication – après l’enlèvement de plusieurs libraires et d’un gérant de la maison d’édition qui avaient vendu des livres bannis par Pékin.

Un renforcement du nationalisme hongkongais

Les hongkongais semblent faire de la désobéissance civile un moyen de protestation contre l’autoritarisme du PCC. L’un des slogans les plus entendus lors des dernières manifestations en dit long : « Hongkong is not China ». Une centaine d’entreprises et de commerces ont annoncé leur fermeture mercredi en signe de solidarité avec les opposants au texte. Les principaux syndicats étudiants ont pour leur part appelé à la suspension des cours pour soutenir les manifestations et plus de 1 600 employés de compagnies aériennes ont signé une pétition de grève tandis que les chauffeurs de bus conduisaient très lentement en soutien aux manifestants.

Cette large mobilisation autour de slogans critiques du régime chinois continental et du parti unique semble indiquer la naissance d’un sentiment relativement neuf : celui du nationalisme hongkongais. « Au départ, au moment de la rétrocession, il y avait la crainte d’un frein économique et un nationalisme chinois qui conduisait les habitants à préférer la Chine à l’empire britannique » note Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques. « Mais aujourd’hui, ils ont développé leur propre sentiment nationaliste, avec des envies de liberté » ajoute-t-il.

Une telle mobilisation est inédite depuis les mouvements sociaux qui avaient émaillé l’ancienne colonie britannique en réaction de la tragédie de Tian’anmen. Un million de hongkongais avait alors battu le pavé pour dénoncer le massacre d’innocents par l’armée chinoise, alors que la rétrocession progressive de la région à la Chine avait été décidée quatre and auparavant. Le 4 juin dernier on célébrait le 30ème anniversaire de ces protestations étudiantes réprimées dans le sang. Cet épisode est totalement censuré en Chine continentale, où le régime tente de le faire oublier mais paradoxalement, ce projet de loi l’aura remis à la une.

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