Mis à mal par les difficultés rencontrées par sa réforme des retraites et des difficultés judiciaires autour de l’opération Lava Jato, Jair Bolsonaro, déjà politiquement fragilisé, pourrait se séparer de deux Ministres clés de son gouvernement.
Une crise judiciaire
Le Brésil serait-il à la veille d’un nouveau séisme politique ? Jair Bolsonaro, dirigeant d’extrême droite, incarnait parfaitement la politique en uniforme – autoritarisme et rigueur morale. Mais aujourd’hui sa position semble fragilisée. D’abord, il y a le scandale qui touche le juge anticorruption Sergio Moro, aujourd’hui ministre de la justice. Celui-là même qui était, au fil des années de de sa lutte très médiatisée contre la corruption, devenu une sorte de « sauveur de la patrie », chargé de la purger de la corruption – et plus largement servait d’exutoire à une population aux prises avec une violence endémique, une pauvreté rampante, une corruption omniprésente…
Moro est aujourd’hui accusé de détournement du système judiciaire à des fins politiques – pratique connue sous le nom de lawfare. Un coup dur alors même qu’il était pressenti comme le possible successeur de Jair Bolsonaro aux prochaines élections présidentielles. Avant les révélations publiées par le média d’investigation The Intercept, sa partialité personnelle déjà connue du public – il a toujours évolué dans les sphères proches de l’extrême droite. Les accusations sont cette fois plus graves : au prétexte de combattre la corruption, l’opération judiciaire Lava Jato (nettoyage express), aurait, sous son égide, violé des garanties constitutionnelles.
Le parquet et le juge d’instruction se seraient ainsi entendus dans le cadre de l’enquête anticorruption massive lancée par la police fédérale brésilienne le 17 mars 2014, en vue de manipuler les faits et d’empêcher l’ex-président Lula de se représenter aux élections présidentielles de 2018. Moro, alors juge dirigeait clandestinement les travaux de l’accusation, ce qui constitue un dysfonctionnement très profond du système judiciaire. L’affaire n’est toutefois pas encore un scandale à part entière car elle n’a que très peu été relayée par la presse locale – très partiale et prompte aux « fakes news ». Auparavant considéré comme pratiquement intouchable, Moro aurait tout de même perdu dix points de popularité depuis les révélations d’après un sondage datant du 12 juin.
Pour l’heure, les électeurs brésiliens semblent encore avant tout réclamer encore des mesures pour combattre la corruption plutôt que de la transparence judiciaire. Mais la Cour suprême doit bientôt réexaminer la demande de libération de l’icône de la gauche, Luiz Inacio Lula da Silva, tombé pour corruption. Ce dernier s’est toujours dit innocent et victime d’une machination politique. Il n’est pas certain que ces révélations soient de nature à le tirer d’affaire. Pour autant, une libération du très populaire ex-dirigeant serait un coup dur pour le régime de Bolsonaro. Alors que The Intercept Brasil a annoncé d’autres documents accablants, la chute du héros populaire Moro le serait encore plus.
Des départs à la chaine
Ces révélations interviennent au pire moment pour Bolsonaro, déjà empêtré dans une très impopulaire réforme des retraites. Ce dernier veut relancer un système exsangue en repoussant l’âge de départ à la retraite à 65 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes, tout en instaurant une durée minimale de cotisations de 40 ans. Un projet qui mobilise la rue dans des manifestations de plus en plus importantes depuis un mois et demi. Vendredi 14 juin ont ainsi manifesté plus d’un million de manifestants alors qu’une grève générale a très largement mobilisé l’administration, les banques le secteur des transports, les postiers et les et les raffineries (10 sur les 12 que compte le pays).
Au total, des rassemblements ont eu lieu dans plus de 80 villes, mettant en difficulté le ministre de l’économie brésilien, Paulo Guedes, autre figure forte de son gouvernement – cet économiste formé à l’Université de Chicago et ancien ministre des Finances sevrait de « caution crédibilité » pour les marchés. Ce dernier a par ailleurs partialement été désavoué par Bolsonaro, étant l’artisan principal de la réforme et pouvant à ce titre servir de fusible. A cela il faut ajouter la démission de Joaquim Levy, président de la Banque nationale de développement économique et sociale. Ce dernier a claqué la porte, après une déclaration du Président brésilien déclarant que sa tête était « mise à prix ».
Pour rappel, pénalisé par l’absence de croissance économique et des scandales à répétition, Bolsonaro a déjà limogé trois ministres ainsi que le directeur des Postes depuis son entrée en fonctions il y a six mois. A l’heure actuelle, son projet de réforme des retraites est bloqué au parlement où il n’a pas réussi à former de coalition, et ne peux compter que sur les 52 élus de son parti. A cela il faut ajouter la forte mobilisation contre sa réforme de l’université – selon lui, une « fabrique marxiste » – qui a rassemblé plus de 2 millions de personnes dans les rues il y a quelques semaines. Et on comprend à quel point la pression monte pour le gouvernement brésilien.