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L’Asie refuse d’être la décharge du monde

Une étude publiée par le Helmholtz Centre for Environnemental Research en Allemagne l’an dernier révélait que 90 % des déchets plastique retrouvés dans les océans proviendraient en fait de seulement dix cours d’eau asiatiques et africains. Et si un temps, le recours systématique au plastique et la mauvaise collecte et gestion des déchets dans les zones avoisinant ces cours d’eau a été vivement critiquée, un autre aspect de ce problème est en train d’apparaitre au grand jour : ces régions du monde – en particulier l’Asie du sud-est – ont longtemps accepté de recevoir les déchets plastique du monde entier afin de les recycler. Une activité qui décroit aujourd’hui considérablement.

L’an dernier, la Chine a ainsi soudainement annoncé ne plus vouloir récupérer les centaines de milliers tonnes de déchets que les pays occidentaux lui envoyaient tous les ans afin qu’elle les recycle. Une mauvaise nouvelle pour les Etats-Unis, le Brésil, l’Australie mais aussi l’Europe, qui comptait sur l’imposant dispositif de recyclage de Pékin pour traiter une grande partie de ses déchets. « Cela a été comme un tremblement de terre », a confié Arnaud Brunet, directeur du Bureau international du recyclage, basé à Bruxelles. « La Chine était le premier marché des déchets recyclables ».

De fait, les importations de plastique chinoises sont passées de 600 000 tonnes par mois en 2016 à 30 000 tonnes par mois en 2018, selon un rapport de Greenpeace et de l’ONG Alliance globale pour les alternatives à l’incinération. Réagissant à cette chute immense de l’offre, ce fut un temps la Malaisie qui repris le flambeau : les importations de plastique du pays ont triplé depuis 2016 pour atteindre 870 000 tonnes l’an dernier. Jusqu’à un nouveau séisme dans les circuits de recyclage : Kuala Lumpur a annoncé qu’elle allait retourner 450 tonnes de déchets plastique à plusieurs pays, dont l’Australie, le Bangladesh, le Canada, la Chine, le Japon, l’Arabie saoudite et les États-Unis.

La fin d’un système

« Nous exhortons les pays développés à cesser d’expédier leurs déchets dans notre pays », a déclaré la ministre malaisienne en charge de l’énergie, de l’environnement et des sciences Yeo Bee Yin. « Nous les retournerons sans pitié à leur pays d’origine ». Pour justifier ce choix, le ministère explique que « ces conteneurs sont remplis de déchets plastiques contaminés, destinés à des usines de traitement qui ne possèdent pas la technologie nécessaire pour les recycler d’une manière respectueuse de l’environnement ». Plus largement, après la Chine ce sont désormais la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam ont pris des mesures pour limiter les importations de déchets plastiques.

Même son de cloche aux Philippines, où après une longue campagne visant à exhorter le Canada à reprendre ces déchets en décomposition, le président philippin, Rodrigo Duterte, a ordonné la semaine dernière le renvoi de 69 conteneurs vers le Canada.  « Baaaaaaaaa bye, comme on dit », a ironisé sur Twitter le ministre philippin des affaires étrangères, Teodoro Locsin. Toujours modéré, le Président Rodrigo Duterte à quant à lui déclaré « Combattons le Canada. Je vais leur déclarer la guerre », avant de menacer de la déverser dans les eaux canadiennes.

Si sa déclaration peut faire sourire, le problème n’en est pas moins sérieux. En partie à cause, la prolifération d’usines illégales de recyclage dans la région – en Malaisie 150 ont été fermées le mois dernier seulement. Mais le manque de transparence du côté des producteurs de ces déchets est également un problème. Jeudi dernier, la ministre canadienne de l’environnement, Catherine McKenna, qui réagissait à la brouille diplomatique avec Manille, a ainsi assuré avoir « modifié sa réglementation afin de prévenir toute future exportation de telles matières sans permis ». « Nous nous sommes engagés auprès des Philippines et nous travaillons étroitement avec eux » a-t-elle conclu.

Une opportunité de développement

Ces décisions à la chaine s’expliquent par le fait que tous ces pays « veulent structurer leur propre filière de recyclage et utiliser leurs propres déchets pour développer leur industrie », explique Philippe Maillard, président de la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement. Aussi, ce séisme demande une réaction rapide de autorités publiques des pays qui ont profité des largesses d’un système leur permettant d’exporter leurs déchets plastiques à l’étranger – dont la France fait partie. Mais là où certains voient une calamité, d’autres voient une opportunité de de nous aussi structurer une filière complète du recyclage.

« On a aujourd’hui, dans la filière environnement, des industriels de la gestion des déchets qui sont parmi les meilleurs au monde. On a des compétences, on a des capacités, on a des expertises qui sont avérées, quelle que soit la taille des entreprises », note Philippe Maillard. « Développer cette industrie du recyclage en France est une opportunité extrêmement importante. Mieux vaut que la création de valeur ajoutée ait lieu dans notre pays plutôt qu’elle ait lieu ailleurs, avec les emplois complémentaires associés. C’est une vraie opportunité. Une formidable chance à saisir collectivement ».

« La France est-elle préparée ? La réponse est oui. Toutes les conditions sont-elles réunies ? Pas complètement. C’est 4,5 milliards d’euros d’investissement à faire dans les 5 à 10 années qui viennent », explique l’expert. D’autres ont déjà franchi le cap avec succès : la ville d’Adelaide, dans le sud de l’Australie, qui expédiait l’essentiel de ses déchets en Chine, retraite désormais sur place 80 % de ses détritus « En aidant les acteurs locaux, nous avons été capable de retrouver des prix similaires à ceux d’avant l’interdiction chinoise », note Adam Faulkner, responsable de l’organisme de gestion des déchets du nord d’Adelaide. Un exemple à suivre.

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