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Sexe, violence, prostitution : la Corée du Sud face à ses démons

Alors que les scandales sexuels se multiplient dans le pays, de nombreuses personnalités rappellent l’importance d’écouter et accorder du crédit à toutes les victimes. Un défi pour la Corée du Sud, qui continue notamment de nier les viols commis par ses soldats lors de la guerre du Vietnam.

Nadia Murad, ancienne esclave sexuelle de Daesh qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2018, a inauguré une sculpture en hommage aux femmes victimes de violences sexuelles lors des conflits armés. Organisé par l’association « Justice for Lai Dai Han », l’événement a eu lieu mardi 11 juin dernier à Church House, près de Westminster, à Londres.

Conçue par l’artiste britannique Rebecca Hawkins, la sculpture « Mère et enfant » représente une femme et son fils aux origines différentes piégés par un figuier étrangleur, un arbre originaire du Vietnam, qui enroule ses branches autour d’eux et refuse de les laisser partir.

L’œuvre d’art évoque ainsi le sort des centaines de femmes vietnamiennes ayant été violées par des soldats sud-coréens entre 1964 et 1973, lors de la guerre du Vietnam. Les enfants nés de ces unions, connus sous le nom péjoratif de « Lai Dai Han » (sang-mêlé), sont aujourd’hui victimes d’ostracisme et d’exclusion économique et sociale.

Cet événement sur les Lai Dai Han vise également à interpeller la Corée du Sud, un pays qui a du mal à se défaire de ses démons : les scandales autour de la violence et de la sexualité se multiplient depuis plusieurs années dans le pays et les pouvoirs publics peinent à prendre la mesure du phénomène.

Ainsi, près de 4 000 personnes ont été placées en garde à vue ou arrêtées dans le cadre de l’affaire « Burning Sun », du nom d’une célèbre boîte de nuit à Séoul dont le personnel est accusé d’avoir fourni à de riches clients des prostituées et des jeunes femmes (parfois mineures) droguées à leur insu afin d’être violées.

Une vaste opération a été menée ces derniers mois. Elle comprend des descentes de police dans plus de 100 établissements de divertissement où le trafic de drogue et la prostitution étaient monnaie courante, selon les médias locaux. Or, la prostitution est illégale et sévèrement punie par la législation coréenne, ce qui est loin de protéger les véritables victimes, comme le regrettent de nombreuses associations.

« Tout le monde était au courant »

« De très nombreuses jeunes filles fuient la violence de leur foyer ou de leur école. Elles ont été abandonnées, négligées… Elles ne peuvent pas travailler légalement et n’ont aucun endroit où aller. Alors, elles vont en ligne pour se prostituer », explique Jin-Kyeong Cho, directrice de l’association Stand Up Against Sex-Trafficking of Minors (« Debout contre le trafic sexuel de mineurs), basée à Séoul.

Certaines de ces jeunes prostituées sont prises en otage par leurs clients ou leurs proxénètes, mais elles hésitent à porter plainte, car les bourreaux « menacent de diffuser des vidéos intimes des victimes, qu’ils ont prises en cachette. Ils les tiennent comme cela », ajoute l’association. En outre, la loi coréenne punit les personnes, même mineures, qui se prostituent, ce qui dissuade également les victimes de se tourner vers la justice.

Leur situation n’est pas sans rappeler celle des victimes du « molka », le scandale des femmes filmées à leur insu. Des caméras-espionnes sont souvent placées illégalement dans les toilettes publiques, des cabines d’essayage, dans les vestiaires de piscine et autres lieux intimes. En juin 2018, 22 000 femmes ont manifesté dans les rues de Séoul pour protester contre ces agressions sexuelles.

Seulement, bien avant cette manifestation monstre, « tout le monde était au courant, mais personne n’abordait le sujet », regrette Raphaël Rashid, journaliste pour Korea Exposé. Selon les informations de Lucie Lespinasse, journaliste à Libération, plus de 6 000 cas de vidéos réalisées sans le consentement des victimes ont été recensés en 2017, contre 1 100 en 2010. Mais « seulement une victime sur dix déclare son agression à la police ». Et pour cause : seulement 2 % des personnes soupçonnées de molka (majoritairement des hommes) ont été condamnées.

Double peine

Pour les victimes, en revanche, la peine est double. « Dans une société qui reste très traditionnelle et patriarcale, les effets psychologiques sont très lourds », explique Lucie Lespinasse. Près de la moitié (45,6 %) des femmes victimes de molka ont déjà eu des pensées suicidaires. « C’est un vrai traumatisme pour ces femmes de se retrouver sur des sites internet. Certaines sont obligées de quitter leur travail, leur école ou même de déménager, d’autres sont sous antidépresseurs. Certaines essaient de se suicider. Ces vidéos tuent des femmes », s’alarme Raphaël Tashid.

En inaugurant la statue « Mère et enfant » à Londres, la prix Nobel Nadia Murad a rappelé l’importance d’écouter et d’accorder du crédit à toutes les victimes, ce qui représente un défi considérable pour la société coréenne. Séoul a en effet obtenu des excuses officielles du gouvernement japonais pour la manière dont les femmes coréennes ont été traitées pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais le pays continue d’ignorer les accusations concernant les femmes vietnamiennes violées par les soldats sud-coréens. « L’événement d’aujourd’hui contribue à sensibiliser le public au sort des victimes vietnamiennes de la violence sexuelle alors qu’elles cherchent à obtenir reconnaissance et justice. Je suis fière de défendre toutes les victimes de violences sexuelles dans le monde », a déclaré Nadia Murad lors du dévoilement de la sculpture. Puisse-t-elle être entendue par celles et ceux qui peuvent améliorer le quotidien des victimes.

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