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Carton plein pour le président Zelensky

La victoire est totale pour Volodymyr Zelensky. Son parti, Serviteur du peuple, baptisé d’après la série télévisée dans laquelle il jouait un humble professeur d’histoire qui devenait par hasard président, a obtenu 43 % des voix lors des législatives anticipés ukrainiennes. Ce score national, combiné à des scrutins locaux, lui permet d’obtenir 250 sièges sur 450 au Parlement monocaméral ukrainien, la Rada. C’est donc un doublé historique pour cet, ex-comédien novice en politique qui avait remporté 73 % des voix lors de la présidentielle ukrainienne en avril dernier.

Après une élection triomphale, Zelensky avait fait le pari risqué de dissoudre un Parlement hostile pour asseoir son pouvoir. Il lui fallait une assemblée ouverte pour mener à bien son projet de « casser le système ». Il se faisait ainsi l’écho à la déception des Ukrainiens vis-à-vis de leurs élites, jugées corrompues et bellicistes. Et bien qu’il n’ait pas vraiment de programme, le nouveau dirigeant est désormais libre de faire ce qu’il veut. « Aucun président, depuis l’indépendance ukrainienne, n’aura eu une telle marge de manœuvre », note Arnaud Dubien, chercheur associé à l’Iris et directeur de l’observatoire franco-russe.

Ce résultat est certainement une déception pour l’autre ONVI de ce scrutin, le Golos (6,4 %), un temps perçu comme le faiseur de roi de l’Assemblée à venir. Le parti de la star du rock ukrainien Sviatoslav Vakartchouk faisait un candidat idéal pour une coalition, étant lui aussi composé de nouveaux visages, et s’appuyant également sur la lutte contre la corruption. Mais Serviteur du peuple, n’aura finalement pas besoin de soutien. Une situation qui inquiète l’analyste politique Volodymyr Fessenko, qui estime que « pour éviter une dérive autoritaire, il vaut mieux d’une coalition parlementaire ».

La déroute des partis traditionnels

C’est la première fois qu’un parti parviendrait à une telle majorité aux législatives depuis l’indépendance de cette ex-république soviétique. Il faut toutefois noter une participation cependant historiquement basse, avec moins de 50% des électeurs qui ont fait le déplacement. Aussi, il ressort de ce vote que seul Zelensky a su mobiliser, là où les autres formations majeures de ce scrutin ont été largement boudées. On retrouve toutefois à la Rada, en en plus du Golos, les pro-Russes de la Plateforme d’opposition (12,8 %), puis les pro-occidentaux, celles de l’ex-président Petro Porochenko (8,7 %) et de l’ex-première ministre Ioulia Timochenko (8 %).

Si le nom du chef du gouvernement n’a pas été donnée depuis l’annonce des résultats définitifs, Zelensky a fait savoir qu’il comptait nommer « un nouveau visage » et « un expert en économie » – une bonne nouvelle compte tenu de son manque d’expérience personnelle. Mais plus largement, c’est le parlement tout entier qui sera désormais dominé par des candidats novices – dont l’âge moyen est de 37 ans. Ces derniers ont remplacé des élites formées du temps de l’URSS, qui l’occupaient jusqu’à ce vote charnière. Une situation à double tranchant compte tenu de la situation difficile du pays et des promesses de « lutter pour la paix », et d’en finir avec la corruption du Président.

Un saut dans le vide

Quoiqu’il en soit, les observateurs s’accordent pour dire que ce vote constitue un signal positif pour la fin de la guerre avec les séparatistes prorusses dans l’Est du pays – ainsi que Moscou, indirectement. « L’ancienne majorité se montrait très fermée vis-à-vis de la Russie », note ainsi Arnaud Dubien. « Volodymyr Zelensky est beaucoup moins hostile et fait du règlement du conflit dans le Donbass une de ses priorités ». Ce conflit fratricide, qui a fait près de 13.000 morts en cinq ans, a plongé l’Ukraine dans une profonde crise – économique et identitaire.

Mais la tâche est loin d’être évidente. Selon un sondage réalisé par le National Democratic Institute, 45% des ukrainiens attendent que Zelensky négocie une paix dans le Donbass dans l’année de son élection. Mais 57% des sondés refusent d’abandonner de la Crimée à la Russie pour obtenir cette paix. Volodymyr Zelensky aura donc fort à faire pour convaincre l’opinion que le compromis inévitable qu’il faudra passer avec le Kremlin pour mettre un terme aux hostilités, est une bonne chose. Il risque en tout cas d’y laisser des plumes, y compris dans son propre camp.

Zelensky s’est aussi fermement engagée dans la lutte contre la corruption. Une loi permettant la confiscation des biens présumés mal acquis devrait être une des premières mesures prises par le nouveau parlement Un nouveau tribunal, spécialisé a également été constitué avec l’aide de l’Union européenne – il doit commencer ses activités en septembre prochain. La mesure est loin d’être inutile compte tenu de la corruption endémique du système judiciaire La tâche sera là encore rendue compliquée par le fait que la majorité comprend des candidats proches d’oligarques.

Beaucoup de regards se tournent ainsi en particulier vers Ihor Kolomoïsky, un milliardaire considéré par certains comme l’artisan de la victoire du nouveau président. Aussi, pour mener à bien sa mission, le futur gouvernement « devra rapidement s’émanciper de ces oligarques », estime Arnaud Dubien. Pour ce faire il pourra s’appuyer sur son immense légitimité populaire et sur le grand nombre d’anciens activistes d’ONG réputés que compte le parti. Les attentes de la population sont toutefois très fortes et si rien ne se passe, il y aura un risque majeur de désillusion.

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