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Compromis au centre pour Ursula von der Leyen

La candidate allemande pour la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen, doit pousser un soupir de soulagement. Cette dernière devait convaincre majorité absolue de 374 voix sur 747 députés européens de la soutenir afin de devenir la nouvelle – et première – présidente de la Commission européenne. Elle a finalement raflé la victoire de justesse (383 voix, seulement), grâce au groupe social-démocrate qui publiait, trois minutes seulement avant le début du vote, un communiqué annonçant son soutien à Mme von der Leyen « aussi longtemps qu’elle tiendra ses promesses ».

« Une majorité est une majorité, je n’aurais pas cru à mon élection il y a deux semaines, mais en treize jours nous avons réussi à former une majorité proeuropéenne » a-t-elle concédé à l’annonce de sa victoire. Elle a profité de ce changement de circonstance pour appeler tous les eurodéputés à travailler ensemble « de façon constructive » en dépit des clivages idéologiques. « J’ignore qui a voté, ou non, pour moi. Ce qui importe, c’est ma conviction : il faut trouver des solutions à nos divisions », a souligné la présidente. Une demie vérité pour rassurer les membres de sa formation politique.

« L’Europe, c’est comme un long mariage, il n’y a peut-être plus le grand amour des débuts, mais il est plus profond » a-t-elle noté dans une jolie pirouette rhétorique. En fin de compte, la candidate aura su sauver les meubles après une entrée en matière plus que tiède. Elle s’en sort par un grand écart qui va finalement aligner la Commission sur une ligne centriste à l’heure où les partis campent sur leur position – ce qui n’est finalement pas une si mauvaise chose pour l’entente européenne. Sa victoire a aussi permis d’éviter une longue et nouvelle crise, qui aurait coûté en crédibilité à l’Union européenne.

Une ligne progressiste

Ursula von der Leyen avait initialement tenté de faire profil bas afin de ne pas créer d’antagonismes avec les autres formations politiques dont elle dépendant pour obtenir son poste. Mais sa première prestation a été jugée vague et décevante par nombre d’élus. Aussi, afin de convaincre une majorité d’eurodéputés, l’allemande a dû clarifier sa position sur les grands défis qui attendent l’UE : le changement climatique, les mutations de l’économie mondiale, la numérisation, la démographie. Un accent a d’ailleurs été mis sur l’urgence climatique, avec l’annonce d’un « green deal » européen dès les cent premiers jours de son mandat.

La présidente a également rappelé son soutien à la neutralité carbone en 2050. Elle veut par ailleurs hausser le seuil de réduction d’émissions européennes des 40 % actuellement envisagés pour 2050 à 50% – voire 55 %. Elle souhaite enfin faire de la Banque européenne d’investissement une banque pour le climat. Des appels de pied aux écologistes, qui ne l’ont pourtant pas soutenue. « Pas question de voler au secours d’une coalition à trois, d’une majorité qui s’est faite sans nous et nous a relégués en bout de table avant de nous écarter », avait estimé le coprésident du groupe, Philippe Lamberts, dans les jours précédant le vote.

« Nous sommes une force politique respectable, nous avons été traités de manière insultante », jugeait-il alors, sans appel. Ce dernier a cependant salué un « net progrès » dans l’allocution qui a suivi le vote, reconnaissait que la nouvelle présidente avait mis sur la table des « mesures concrètes ». Une position somme toute très progressiste, qui est du au fait que « le PPE est en train de payer le prix fort d’avoir voulu à tous prix obtenir la présidence de la Commission », analyse Jon Worth, expert en politiques européennes. Les concessions faites dans son discours d’investiture font d’elle « une figure de proue du centre droit forcée de mener des politiques de centre gauche » d’après l’analyste.

Le PPE renvoyé à ses divisions internes

La formation qui est finalement le plus mise en difficulté par ce compromis est en effet le Parti populaire européen, dont une partie des élus a accueilli de manière glaciale la nouvelle ligne de la présidente. En premier lieu, on trouve les élus de l’Est. Ces derniers ont fait connaitre leur mécontentement sur un certain nombre de sujets : le fait qu’Ursula von der Leyen n’ait pas évoqué les questions agricoles – qui leur sont pourtant chères, tout particulièrement à la veille d’une refonte de la PAC. Les engagements de l’allemande au respect de l’Etat de droit – elle a même annoncé un mécanisme de surveillance, sans en préciser les contours – auront également causé certaines crispations.

Pire encore, la présidente s’est engagée reprendre les sauvetages de migrants en mer et de mettre en œuvre une politique plus « humaine » sur le dossier de la migration. La cheval de bataille des grands partis de Visegrad.  Elle a aussi annoncé une politique de fermeté par rapport au Royaume-Uni : si Mme von der Leyen est prête à envisager un nouveau report, ce devra être « pour de bonnes raisons ». L’annonce n’a pas manqué de déclencher la déception des élus de la droite modérée britannique, qui espérait une position plus conciliante, et la colère des partisans d’un Hard Brexit, qui veulent en finir avec le divorce au plus vite, reflétant le chaos qui règne encore au sein de la droite britannique.

Compte tenu de l’importance des tractations de dernière minute dans la victoire de la candidate du PPE, il est fort à parier que celle-ci ait dû payer cher le soutien des sociaux-démocrates et des libéraux démocrates de Renew Europe. Aussi, fort est à parier que ces derniers aient la part belle au sein du collège de 28 commissaires qui formera l’exécutif européen pour les 4 années à venir – laissant son parti encore plus désenchanté, et donc divisé. Une position délicate pour la formation qui a déjà failli perdre Orban et le PiS polonais avant les dernières européennes.

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