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Institutions européennes : une affaire franco-allemande

C’est la fin d’un casse-tête – nuits blanches, coups tordus, accords avortés, coups de gueule. L’Union européenne est sortie de l’impasse sur le pourvoi des postes majeurs des institutions européennes : les présidences de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen et de la Banque centrale européenne ont trouvé repreneurs. La liste des futurs dirigeants de l’UE nécessitait de trouver des équilibres entre familles politiques, entre l’Est et de l’Ouest, entre ambitions réaffirmées de Paris et de Berlin, mais aussi prendre en compte la parité, réclamée par le président français, Emmanuel Macron – pour des raisons politiques, notamment.

Le processus était de fait paralysé par la rivalité franco-allemande ainsi que la volonté de plusieurs pays d’Europe de l’est, tenants d’une ligne politique plus souverainiste, de peser davantage dans le jeu politique européen. Il s’agissait en définitive des plus longues tractations depuis la « nuit grecque » du 13 juillet 2015 (17 heures). Des longueurs qui ont causé une sortie haute en couleur d’Emmanuel Macron, exaspéré par la lenteur du processus – il avait sans doute peur d’une nouvelle fois ne pas être au rendez-vous de l’histoire. Il semble en définitive avoir su tirer son épingle du jeu, au détriment des « populistes » et des verts, pourtant grands gagnants du dernier scrutin européen.

Le PPE conserve la Commission

Après d’interminables chaises musicales – la série de noms un temps évoqués, avant d’être impitoyablement abandonnés s’allongeait d’heure en heure – le délicat poste de présidente de la Commission européenne devrait être confié à l’Allemande Ursula von der Leyen , proche de la chancelière Angela Merkel. Sa nomination, après avoir un temps envisagé le social-démocrate Frans Timmermans, est le fruit d’un double compromis pour faire passer l’évincement de Manfred Weber, président du Parti populaire européen (PPE, droite) et candidat de Berlin pour ce poste. Elle permet également à la première formation du Parlement de garder la tête de la Commission.

Il s’agirait, sauf surprise majeure, de la première nomination d’une femme à la tête de l’exécutif européen dans l’histoire. Forte d’une solide expérience dans son Allemagne natale – ministères de la famille puis du travail avant six années à la tête du ministère fédéral de la défense – , elle s’est illustrée par son engagement proeuropéen, en particulier sur les thématiques comme la sécurité et de la défense. En cela, elle correspond en cela au profil souhaité par Emmanuel Macron. Ce dernier entend faire pression sur l’Allemagne pour qu’elle assume davantage de responsabilités à l’échelle internationale, y compris au niveau des opérations extérieures.

De fait, cette nomination est une aubaine pour la femme politique, qui connaissait des heures difficiles après une sortie remarquée sur les forces armées du pays. En 2017, elle s’était en effet indigné contre « les faiblesses » et « un esprit de corps mal placé » et s’était en quelque sorte grillée en Allemagne. Sa nomination mardi à la présidence de la Commission européenne doit être approuvée par une majorité de députés européens lors d’un vote le 15 juillet prochain.

Un belge au Conseil de l’Europe

C’est finalement l’ancien Premier ministre belge, Charles Michel, un homme connu pour sa maîtrise de l’art du compromis, qui prend la tête du Conseil de l’Europe. Ce dernier était en effet devenu Premier ministre avec le soutien des nationalistes flamands du N-VA, avant d’être lâché lorsqu’il avait décidé de ratifier le Pacte de Marrakech sur la migration. Il remplace Donald Tusk – avec qui les relations avec Paris était pour le moins tendues. Ce proche d’Emmanuel Macron, attaché comme lui à la réforme de l’Union et à la destruction des clivages politiques traditionnels, sera un soutien du choix pour le Président français. Mais son alliance avec des eurosceptiques dans son propre pays lui aura permis d’afficher un profil d’europhile discret, ce qui a dû être déterminant dans sa nomination.

Le nouveau président du Conseil est souvent comparé à un autre premier ministre belge qui a occupé ce siège, Herman Van Rompuy, qui s’était lui aussi illustré pour son doigté trans-partisan, Charles Michels devra effectuer un véritable travail de démineur pour réconcilier les états membres. Une fonction pour laquelle le jeu politique belge l’aura préparé mieux que personne.

Le groupe social-démocrate prend les rênes du Parlement

C’est finalement une figure assez méconnue, l’eurodéputé et ancien journaliste italien David-Maria Sassoli, qui a été désigné après deux tours pour prendre les rênes du Parlement européen. Cet élu du groupe des socialistes et démocrates (S&D) a bénéficié de l’absence de candidat du PPE – qui compte en retour sur les votes de sa formation pour élire Ursula von der Leyen à la tête de la Commission. Malgré une confortable majorité absolue, cette décision s’est faite sans grand enthousiasme au sein de sa propre formation – encore morcelée par les divisions idéologiques qui pénalisent les différentes gauches européennes.

Cette nomination est d’autant moins fédératrice qu’elle est faite avec le soutien de la droite, dans le cadre d’une manœuvre politique. Mais elle correspond en revanche à une véritable volonté de renforcement du rôle du Parlement dans la direction européenne – renforcée par les accusations de « manque de démocratie » des eurosceptiques. Dans son discours de candidature, mercredi 3 juillet, Sassoli a ainsi rappelé que « le Parlement doit être le siège de la démocratie européenne », avant d’ajouter : « On se battra ensemble pour un Parlement moderne, plus transparent, éco-durable, accessible aux citoyens ». Un message qui se veut conciliateur à gauche et au centre.

Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne

Et les français dans tout ça ? Si Emmanuel Macron semble avoir réussi à placer des personnalités qui correspondent peu ou prou à sa vision aux « top jobs » de l’UE, aucun n’était jusque-là Français, malgré plusieurs candidatures remarquées – en particulier celle de Michel Barnier à la présidence de la Commissions. Mais du fait d’une concordance presque fortuite, la fin du mandat de 8 ans de Présidence de la BCE tombait au même moment que le renouveau des autres institutions. Aussi, c’est là qu’Emmanuel Macron a joué son atout : Christine Lagarde succèdera à Mario Draghi à la tête de l’institution.

En un sens, il s’agissait du poste le plus stratégique, sur fond de risque de crise économique majeure avec les guerres commerciales de Donald Trump. Et ce d’autant que Mme Lagarde est considérée comme ayant la même politique monétaire accommodante que Mario Draghi. Un positionnement qui lui aura certainement valu le soutien de M. Macron. « Croire qu’une fois nommées, ces nationalités doivent agir dans l’intérêt du pays dont elles sont citoyennes, c’est une erreur très grave. Ce serait contraire à tous les traités, qui disent extrêmement clairement que, quand on est président de la Banque centrale européenne, on est indépendant », tempère toutefois Jean-Claude Trichet ancien président de la BCE.

Pour autant, il est très probable que la BCE conserve des taux d’intérêt bas – une politique qui va en un sens à l’encontre de l’orthodoxie budgétaire prêchée par la droite allemande. Aussi, sa nomination est accueillie favorablement par les économies du Sud – en particulier l’Italie, actuellement l’économie européenne la plus bancale. Elle devrait également rassurer les marchés.

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