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Merkel : une sortie délicate

« Nous voulons non pas d’une Europe à deux, mais d’une Europe à 28 » avait annoncé Giuseppe Conte, Président du Conseil italien. Et pourtant, jamais les tractations pour décider de qui seront les grandes figures des institutions de l’Union européenne n’ont ressemblé à un bras de fer entre deux camps. Ce rapport de force s’est joué sur trois terrains, opposant les libéraux de l’ALDE, forts en gueule depuis leur progression aux européennes, à la droite plus conservatrice du Parti populaire européen (PPE), toujours en tête malgré un tassement, la France à l’Allemagne, et plus prosaïquement Angela Merkel à Emmanuel Macron, qui cette fois avait décidé que Paris ne devait pas être docile.

Si le choix de l’Allemande Ursula von der Leyen, proche d’Angela Merkel, pour diriger l’exécutif européen, semble consacrer une victoire de la Chancelière allemande, la réalité est plus complexe. Elle consacre avant tout l’abandon du système du Spitzenkandidat (selon lequel le leader du premier parti européen devait prendre la tête de la Commission), qu’elle soutenait mordicus. En effet, le candidat de Mme Merkel était le Président du PPE, le bavarois Manfred Webber, écarté au motif qu’il n’avait jamais exercé de fonctions exécutives. Une première déconvenue.

De plus, Ursula von der Leyen était de fait l’une de ses candidates préférées de Paris, car elle plaide pour un changement de paradigme européen – la où Merkel tente de conserver le statu quo très favorable à Berlin. Mais plus largement, la nomination pour 8 ans de Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne entérine la passation du contrôle de la monnaie des allemands aux français. Cela annonce sans doute une politique monétaire plus accommodante et flexible, bonne nouvelle pour l’Europe du Sud. L’arrivée du libéral Charles Michel – un des plus proches alliés de Macron – à la tête du Conseil de l’Europe enfonce également le clou.

Mutinerie au PPE

La nouvelle donne européenne affaiblit durablement la suprématie du PPE dans les institutions bruxelloises (le refus de Webber, la perte du Conseil de l’Europe). Cela marque la réalité des urnes : le parti reste le premier mais est en recul face au centre-gauche du PES et aux libéraux d’ALDE, qui ont su peser à plein malgré leurs scores moins importants. Une situation très mal vécue par la droite européenne, qui a lancé une fronde ouverte contre le premier accord négocié par Angela Merkel lors du sommet du G20 à Osaka – ils estimaient qu’elle avait fait trop de compromis.

Ces objections sont parfaitement résumées par l’eurodéputé PPE portugais Paolo Rangel, vice-président du parti : « Mme Merkel représente l’Allemagne et pas le PPE ». Selon une source interne, Les Républicains (LR) menaçaient, eux, de claquer la porte du groupe européen pour protester contre cet accord. Aussi, Mme Merkel a fini par quitter le sommet du PPE sur les institutions européennes avant la fin, lorsqu’elle a compris qu’elle n’aurait pas le dernier mot. Elle s’y était même rendue en avance pour pouvoir y mobiliser des soutiens, en vain. Une déconvenue pour l’Union chrétienne démocrate (CDU), qui pendant longtemps exerçait une influence décisive dans cette famille politique.

Le Premier ministre bulgare, Boyko Borisov, le Premier ministre croate Andrej Plenković, le dirigeant hongrois Viktor Orbán et l’irlandais Leo Varadkar se sont ainsi ouvertement élevés contre le « plan Merkel » (en réalité décidé par Macron, Merkel, mais aussi le Néerlandais Rutte, l’espagnol Sanchez). Et paradoxalement, le refus du compromis du G20 d’Osaka, jugé comme trop favorable au centre par la droite conservatrice qui craint que le phénomène « En Marche » ne s’exporte en dehors des frontières françaises, aura fini par avantager la France : les élus du PPE demandaient le Commission coûte que coûte, aussi Angela Merkel a dû utiliser son atout sur ce terrain, laissant le champ libre à Macron pour le reste.

La CDU cantonnée à la politique de l’arrière chambre

Si on présente aujourd’hui Ursula von der Leyden comme la protégée de la chancelière, elle n’est en réalité plus considérée comme son héritière depuis la fin des années fastes de la CDU. Compromise politiquement dans son pays, en particulier depuis une sortie malvenue à l’encontre de l’armée, elle cherchait même une porte de sortie. La vraie dauphine d’Angela Merkel, Annegret Kramp-Karrenbauer, est pour sa part en difficulté depuis les européennes, plombée par ses déboires avec des youtubeurs sur la question écologique, son soutien indéfectible à Manfred Weber et des attaques sur ses compétences économiques venant de sa propre formation politique.

Les difficultés rencontrées par « AKK » font écho aux difficultés qui entravent la chancelière. « Lors des récentes élections européennes, les grands partis populaires que sont la CDU/CSU et le SPD ont perdu beaucoup de terrain » notait à ce propos Martin Koopmann, directeur de la Fondation Genshagen. « On n’avait pas vu ça depuis les années 1990 ». En outre, la CDU se prépare à un automne très difficile avec des élections régionales dans trois Länder qui pourraient très bien sonner le glas de la coalition entre la CDU, son parti frère bavarois CSU et le parti social-démocrate (SPD).

« Ces partis qui dominaient la scène politique ne sont plus considérés comme pertinents et compétents sur les grands sujets qui concernent la population : la sécurité, le social, le climat » analysait fort justement Martin Koopmann. « Le SPD, notamment, qui était considéré comme la référence sur le social, a perdu cet avantage au profit de Die Linke (gauche) et des Verts. Le thème de la sécurité profite, lui, à l’AfD (extrême droite), surtout dans les Länder de l’Est de l’Allemagne. Autre constatation consternante pour les partis au gouvernement : ils ont perdu les électeurs de moins de 60 ans, c’est-à-dire les actifs ».

A la tête d’une majorité en crise (Sigmar Gabriel, ancien chef du SPD et ex-ministre des Affaires étrangères a qualifié l’accord sur les top jobs européens d’« exemple sans précédent de tricherie politique »), boudée par la CSU qui comptait sur son candidat Markus Weber, en perte d’influence sur la scène européenne, le retour au pays a dû être amer pour la Chancelière allemande. A cela il faut ajouter des problèmes de santé de plus en plus difficiles à nier – ce qui ne renforce pas sa position dans l’impitoyable arène politique. Aussi, la fin de règne promet d’être délicate pour Angela Merkel, qui est dans une logique de passation du pouvoir.

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