Site icon La Revue Internationale

Taxe GAFA : la France persiste et signe

Le parlement français a définitivement adopté le 11 juillet l’instauration d’une taxe sur les géants du numérique (GAFA). Ce texte prévoit un prélèvement de 3% du chiffre d’affaires des entreprises du secteur dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros dans le monde et 28 millions d’euros en France. De fait, ces entreprises paient en moyenne 14 points d’impôts de moins que le PME françaises, d’après la Commission européenne. Aussi, cette mesure de rééquilibrage devrait permettre à la France de récupérer quelques 400 millions d’euros par an.

La mesure est originale en ce qu’elle se focalise sur le chiffre d’affaire français de ces groupes et non leurs bénéfices comme c’est généralement le cas des impôts. Cela vient d’une volonté de ne pas souffrir de la fluidité des capitaux, qui permet aux multinationales de transférer artificiellement du profit vers des pays de moindre taxation et pratiquer une optimisation fiscale parfois sauvage pour payer le moins possible – Apple ne paie ainsi qu’une taxe de 0,5% en Irlande. Aussi, il était nécessaire pour contourner ces mécanismes d’évasion de taxer l’activité réelle – les ventes.

Cette solution unilatérale a vocation à n’être que « temporaire », assure Paris, dans l’attente d’un aboutissement de négociations internationales. La France compte ainsi sur le G7 Finances de Chantilly pour poser les bases d’un accord fiscal de principe, sur la mise en place d’un impôt sur les sociétés mondial pour les GAFA – et plus largement les entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale. Aux Etats-Unis, cet impôt minimal « existe déjà, il est de 13% », note M. Le Maire. « Ça veut dire que si vous rapatriez vos bénéfices dans un pays qui a un impôt sur les sociétés à 3%, et bien vous paierez les 10 points d’écart à l’Etat où vous êtes installés ».

La crainte d’un effet domino

La France n’est pas le seul pays européen à plancher sur une telle taxe. L’Italie, l’Autriche, et l’Espagne sont également en train de travailler sur des mesures similaires. La Grande Bretagne était également à un stade avancé de ce processus, mais la potentielle élection de Boris Johnson à la tête du pays pourrait inverser la vapeur, compte tenu du rapprochement que celui-ci veut opérer avec Washington. Aussi, devant la crainte d’une contagion, la Maison blanche a ouvert une enquête sur la taxe récemment approuvée par la France. Celle-ci pourrait mener à des sanctions économiques ciblées à l’image de celles qui frappent la Chine – une drôle de manière de traiter l’allié français.

De fait, ces sanctions ne seront pas forcément aussi sévères que l’a annoncé Washington. Pour beaucoup, il s’agit d’un nouvel exemple de la stratégie de négociation de Donald Trump : il place toujours la barre très haut, afin de poser un cadre favorable dans les tractations à venir, avant de faire un compromis. En outre, une enquête de ce type dure plusieurs mois – parfois jusqu’à un an – ce qui devrait donner le temps de régler la situation à l’amiable, voire de trouver une solution internationale – des discussions ont été ouverte au sein de l’OCDE.

Mais pour la France, pas question de faire marche arrière, ce qui enverrai un signal très négatif pour les négociations internationales à venir. Il faut faire passer un message : l’ère de l’impunité est révolue. Pour Bruno Le Maire, « c’est [même] l’intérêt des Etats-Unis de mettre en place cette taxation d’un nouveau modèle économique qui repose sur la création de valeur par les données ». Un argument écarté par l’administration américaine, qui pourtant pratique un protectionnisme beaucoup plus agressif depuis l’élection de Trump. Une mauvaise foi d’autant plus flagrante que ce dernier est en guerre ouverte avec les GAFA.

Ce weekend Peter Thiel, le fondateur de PayPal et l’une des rares figures du domaine de la high-tech à soutenir Donald Trump, a ni plus ni moins accusé Google de « trahison ». Ce dernier a même suggéré qu’il était grand temps que le FBI et la CIA enquêtent sur l’infiltration d’espions chinois au sein de Google. Le porte-flingue de Trump exprime ainsi la vision qu’à l’administration conservatrice des GAFA. Pour autant, il serait trop dangereux de laisser la France s’en prendre à des intérêts américains, malgré ces tensions internes – en particulier en période électorale. D’où ce double discours flagrant.

Un bon test de solidarité européenne

Le texte français est en réalité très inspiré par une initiative européenne similaire. Elle n’a finalement pas vu le jour du fait des réticences de l’Allemagne, la Suède, du Danemark et de la Finlande, qui craignaient des mesures de représailles américaines, et du paradis fiscal européen en chef, l’Irlande, qui bénéficie largement de la distorsion fiscale au sein de l’UE. De fait, aujourd’hui encore, la plupart des pays jouent la concurrence fiscale à la baisse. Mais l’apparition d’un ennemi commun – et tonitruant – pourrait pousser les état membres à resserrer les rangs.

C’est la position que semble avoir adopté la nouvelle présidente de Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans son discours d’investiture hier. Pour obtenir le soutien d’eurodéputés de gauche, celle-ci a multiplié les promesses, notamment sur des questions fiscales. Cette thématique promet en tout cas d’être un bon test de solidarité européenne – bien qu’une solution régionale ne puisse être pleinement satisfaisante. « La meilleure solution et la sagesse, c’est désormais de trouver une solution internationale. Le G7, c’est le bon moment pour décider de cette taxation internationale », a souligné mercredi Bruno Le Maire.

Aussi, l’initiative française – potentiellement reprise au niveau européen – constitue un moyen de mettre sous pression l’OCDE pour que les discussions internationales sur une taxe GAFA passent la seconde. « Si nous ne trouvons pas d’accord au niveau du G7 sur les grands principes de la taxation du digital aujourd’hui ou demain, franchement ce sera difficile d’en trouver un entre 129 pays à l’OCDE » concédait toutefois le ministre français. Pour les partisans d’une telle taxe, il faudra avancer vite Les prochains G7 et G20 se tenant aux Etats-Unis et en Arabie saoudite respectivement – deux pays peu connus pour leur goût pour le multilatéralisme – il faudra s’attendre à une quasi absence d’avancées lors de ces rencontres.

Quitter la version mobile