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Brexit : le Parlement mis hors-jeu ?

Le Premier ministre a annoncé avoir écrit à la reine Elizabeth II pour lui demander de procéder à une suspension du Parlement jusqu’au 14 octobre. Cette dernière a approuvé la demande de suspension mardi dernier. Ce nouveau développement dans la saga Brexit bouscule sensiblement le calendrier du divorce côté britannique. De fait, les députés n’ont plus qu’une semaine pour débattre, avant que l’assemblée ne soit suspendue, ce qui coupe l’herbe sous le pied des adversaires d’une sortie de l’UE sans accord. Et au terme de cette période d’inactivité, les députés n’auront que trois jours pour contre-attaquer avant un Conseil européen crucial, qui devrait régler la question du Brexit.

Cette décision s’appuie sur une pratique venue du droit coutumier – mais qui qui va à l’encontre de la procédure constitutionnelle classique. En outre, une suspension aussi longue n’a pas été vue au Royaume-Uni depuis 1945. Certains élus dénoncent donc un détournement – John Bercow, Président de la Chambre des communes parle même d’un « affront fait à la constitution ». Boris Johnson explique pour sa part qu’il est nécessaire de montrer de l’« unité » et de la « détermination » lors de la dernière ligne droite du divorce. Comprendre : afficher une position claire et tranchée, ce qui est impossible avec un parlement aussi polarisé – à l’image du pays.

Dans son collimateur, le sempiternel « Backstop », qui assure un régime transitoire pour l’Irlande, afin de ne pas ériger une nouvelle frontière entre le Nord et le Sud. Il espère que l’abandon de cette clause permette de passer le deal négocié par Theresa May par le Parlement – bien que les états membres de l’UE aient répété ad nauseam leur intention de maintenir de cette mesure par solidarité avec l’Irlande. Ce nouveau développement est en tout cas cohérent avec les annonces du gouvernement britannique ces dernières semaines : une réduction du nombre de réunions auxquelles le Royaume-Uni prendra part et le choix de ne pas présenter de candidats pour un poste de Commissaire européen.

La riposte s’organise

L’annonce a provoqué des réactions indignées unanimes au sein de l’opposition : les travaillistes, les Indépendants – démissionnaires du Parti conservateur – les parti indépendantiste écossais (SNL), les libéraux-démocrates et les verts. Entre « outrage constitutionnel » et « coup d’état », les accusations vont bon train. Si bien qu’après des semaines de tractations infructueuses, mardi 27 août, Jeremy Corbyn est parvenu à réunir un front des « anti » lors d’une réunion dans la très symbolique Church House, où se réunissaient les députés pendant la seconde guerre mondiale.

Mais aussi au sein du parti conservateur, également, des désaccords se font entendre. Les ex-ministres conservateurs, Philip Hammond, Dominic Grieve et Oliver Letwin, s’étaient par exemple opposés avec fermeté à un « no deal » – ils n’ont pas encore rejoint l’opposition pour autant. L’annonce a aussi provoqué plusieurs démissions, incluant Ruth Davidson, la chef de file des conservateurs écossais, du spin doctor George Young. Matthew Hancock, avait déclaré en juin dernier qu’« une prorogation serait inacceptable », ainsi que Richard Harrington, un autre ancien ministre tory, se sont dit prêt à « tout » pour éviter un « no deal ». Une position partagée par le Gallois Guto Bebb, ex-ministre de la défense et David Gauke, ex-secrétaire d’Etat à la justice.

De fait, se sachant très fragile politiquement, avec une seule voix d’avance au Parlement et un parti divisé sur la question du no deal, Boris Johnson force le Remainers à trancher dans le dilemme entre un amendement qui bloquerait une sortie (désormais exclu de facto) sans accord ou une motion de censure afin de tenter de faire tomber le gouvernement. Il espère que la peur de voir Corbyn, considéré par beaucoup comme un dangereux utopiste, débarquer au 10 Downing Street refroidisse les libéraux démocrates et les travaillistes frondeurs et lui permette de se maintenir au pouvoir, avec une nouvelle légitimité.

En parallèle, la société civile britannique prépare elle aussi une riposte à la manouvre politique de « Bojo ». Une action en justice a été lancée pour tenter de bloquer le processus de suspension. Jeudi, des rassemblements spontanés ont de nouveau eu lieu un peu partout dans le pays. Un appel à des manifestations massives a été lancé pour samedi 31 août ainsi que des appels à la « désobéissance civile ». Dans le même temps, une pétition en ligne contre une sortie sans accord le 31 octobre prochain a été lancée sur le site du parlement. Elle a récolté 1,5 millions de signatures en 24h le soutien continue de croitre.

L’ultime atout de Boris Johnson

Le pari de Boris Johnson est donc risqué. De fait, il tente de reprendre la main sur le cours de la vie politique britannique, obnubilée par le Brexit. Pour rappel, il avait été confronté au Parlement avant même son arrivée au pouvoir. Aussi, il joue ici sa carte maitresse : il veut montrer que l’opposition n’est pas en mesure de formuler une alternative crédible. En outre, Johnson montre qu’il a appris la leçon de l’échec de Theresa May, dont l’accord, péniblement échafaudé en deux ans, a été rejeté trois fois de suite malgré ses manœuvres autour de l’agenda du divorce et des sommets européens pour mettre les élus britanniques sous pression.

Il s’agit donc d’un message à Bruxelles : le parlement ne me lâchera pas. Ma proposition sera la seule que vous recevrez et à ce titre il ne faut plus espérer qu’un revirement se produise. Ce faisant, il cherche une nouvelle fois de rejeter la faute d’un divorce sans accord sur Bruxelles – ce qui a été la ligne politique du parti conservateur depuis une dizaine d’années. L’idée est de se présenter devant les britanniques comme celui qui a tout tenté, mais s’est heurté à l’intransigeance stérile de l’UE. Une position qu’il ne pouvait pas occuper sans le soutien inconditionnel de son Parlement.

Mais cette approche semble ignorer le cœur du problème posé par le Brexit : une crise constitutionnelle qui oppose deux modes démocratiques, direct et représentatif. Le fait que le referendum ne soit pas dans la culture politique du Royaume-Uni en a fait un moyen d’exprimer son mécontentement envers un ensemble assez large de problèmes parfois sans rapport aucun avec l’Union européenne. Aussi, les deux erreurs majeures de David Cameron auront été ne pas anticiper ce vote « coup de gueule » et avoir voir le potentiel explosif de cette opposition– qui risque de mener à la suspension du parlement dans une démocratie parlementaire, faute d’avoir son soutien.

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