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Hongkong : le mouvement prodémocratie renoue avec le pacifisme

Deux mois et demi après le début du bras de fer entre les hongkongais et Pékin, la rue ne se démobilise pas. La semaine dernière, les manifestants prodémocratie ont bloqué l’aéroport de la région semi-autonome, le 8ème le plus fréquenté du monde. Après des épisodes de violences sans précédent pour une occupation en principe pacifiste, les manifestants étaient dans l’embarras. Beaucoup craignaient – à juste titre – que l’agression des forces de l’ordre et les difficultés rencontrées par les voyageurs en transit provoquent une perte de légitimité du mouvement.

Fidèle à sa stratégie du pourrissement à l’égard des manifestants, la Parti communiste chinois (PCC) a condamné un mouvement qui a vire au « terrorisme », dans le cadre de déclarations officielles et d’une importante campagne de propagande sur les réseaux sociaux, principalement destinée à sa propre population. Dans le même temps, Pékin a exprimé les premières menaces concrètes – le régime s’était jusqu’alors montré très réservé – avec la diffusion de vidéos d’exercices militaire musclés et la mobilisation d’un important contingent à la frontière de Hongkong.

Devant cette tentative de reprendre la main par le pouvoir central et le risque de nouveaux débordements vers la violence, les hongkongais ont organisé une grande marche pacifique. Près de deux millions de manifestants prodémocratie ont défilé dans le calme ce dimanche– soit presque un quart de la population. Une mobilisation de masse, qui fait écho à un sondage paru fin juillet, révélant que 85% des manifestants soutiennent le mouvement malgré ses « excès ». Dans le même temps, les responsables des violences à l’aéroport ont présenté leurs excuses publiques pour les débordements.

 « Nous voulons montrer au monde entier que les Hongkongais sont pacifistes », a déclaré dimanche Bonnie Leung, un porte-parole du Front civil des droits de l’Homme (FCDH). « Si la tactique de Pékin est de laisser mourir notre mouvement à petit feu, elle a tort, nous ne lâcherons rien. »

La stratégie du pourrissement – et son alternative peu réjouissante

« On voit plus clairement la stratégie de Pékin depuis quelques jours », explique Sebastian Veg, professeur d’histoire de la Chine contemporaine à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). « La police de Hong Kong intimide les manifestants à travers l’usage de la force et les arrestations d’extrémistes violents en première ligne. Le judiciaire subit de grosses pressions pour des condamnations politiques. Les forces patriotiques locales doivent être mobilisées pour unifier le camp pro-establishment très divisé. Enfin, retourner l’opinion publique hongkongaise. En conclusion il s’agit de mener une guerre d’usure ».

Le changement de stratégie du FCDH prend toutefois Pékin à contre-pied. De fait, elle pensait diviser les plus radicaux et les plus mesurés, mais fait face à la politisation d’une génération toute entière. Et si la Chine a joué sur la peur d’une crise économique provoquée par ce mouvement, les manifestants retournent désormais cette arme contre Pékin, avec des tentatives de faire des vagues sur les marchés hongkongais pour mettre l’exécutif local – et indirectement le dirigeant Xi Jinping, qui tire les ficelles – sous pression. La nouvelle donne met le pouvoir chinois dans une position très délicate, où elle a le choix entre la répression sans merci ou perdre la face.   

Pour Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), deux dénouements sont envisageables : « Soit la logique du pourrissement prévaut et les choses se calment sans aucun résultat positif pour les manifestants. Soit la contestation se poursuit et dégénère avec une intervention armée chinoise ». Une perspective peu encourageante.

Un coup dur pour la Parti Communiste Chinois

Si le risque de violence direct (une répression militaire comme celle de la Place Tian An Men, en juin 1989) ou indirect (comme l’a montré la mobilisation de triades pour attaquer les manifestants et tenter de leur briser le moral) est bien réel, l’importance de la mobilisation – et sa résilience – prouve un fait culturel : le PCC pensait, en 1997 qu’il y aurait une convergence naturelle de Hongkong vers le reste de la Chine, ce qui consacrerait la victoire du modèle politique et sociétal qu’il défend. Or c’est tout le contraire qui se passe. Les hongkongais demandent plus de démocratie et rejettent en bloc l’autoritarisme centralisé de Pékin.

De fait, l’annexion de Hongkong devait en principe avoir lieu en 2047. Mais dès son arrivée au pouvoir Xi Jinping a tenté d’accélérer les choses, si bien que tout est en train de se jouer aujourd’hui. Le contrat social entre les habitants et leur gouvernement (incarnation de la main invisible et implacable de Pékin) est en train de se dissoudre – au point qu’une partie des manifestants demande désormais l’autonomie. Et cela menace l’autorité absolue du PCC, ce qui Pékin estime comme inacceptable, d’autant qu’elle pourrait créer une contagion dans le reste du pays.  

Mais le coût d’une intervention militaire n’est pas non plus à sous-estimer : la communauté internationale, qui ne manquerait pas de l’utiliser pour isoler la Chine et l’utiliser contre ses intérêts. Mais plus largement, elle pourrait bloquer l’économie hongkongaise durablement et être à l’origine d’une catastrophe économique : si Hongkong ne représente plus que 3% du PIB chinois, elle représente encore le lien entre le marché chinois, très contrôlé et autocentré, et les investisseurs du reste du monde. Deux menaces très réelles alors que le marché immobilier chinois chancelle et menace de devenir une bulle économique après des années à marche forcée.

Enfin, la situation renforce clairement le camp indépendantiste à Taïwan. Pékin espérait faire de Hongkong un exemple pour convaincre la majorité des taïwanais à rejoindre la Chine continentale – le pays étant une démocratie libérale. Mais une répression violente porterait un coup très sérieux au principe du « un pays deux systèmes ». A moins d’envahir l’île, qui aurait également un coût politique très élevé, la seule solution pour le PCC est en effet de convaincre les taïwanais de leur intérêt à une réunification. Mais les protestations à Hongkong, et sa réponse à la crise, rend de fait son modèle politique et sociétal de moins en moins attrayant.

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