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Le Conseil souverain, une étape clé dans la transition au Soudan

Après des mois de protestations populaires émaillées de violences, le Soudan pourrait enfin sortir de la crise politique. Initialement ce qui avait le mis feu aux poudres était la vie chère, et notamment le prix du pain. Maos rapidement, devant la répression brutale de l’ancien dictateur Omar el-Béchir – depuis renversé par l’armée – la contestation est devenue un mouvement politique visant à obtenir la constitution d’un gouvernement civil non contrôlé par les militaires. Or, ce samedi, grâce notamment à la médiation africano-éthiopienne, les protestataires et les putschistes ont trouvé un accord pour un établir Conseil souverain de transition.

Cet accord organise, sur une période de transition de trois ans, un transfert du pouvoir aux civils au Soudan. Durant cette période, le pouvoir sera assuré par ledit conseil souverain de transition. Ce dernier sera constitué de 5 généraux et 6 civils (dont deux femmes, Raja Nicolas Abdel Massih, une copte, et Aisha Moussa, une activiste très engagée dans les protestations). Durant les 21 premiers mois de cette transition, il sera dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan, actuel chef du Conseil militaire de transition qui avait chassé Omar el-Béchir après 30 ans au pouvoir, avant qu’un civil ne prenne la tête du cet exécutif temporaire pendant les 18 mois restants.

Une démocratie parlementaire « à la britannique »

Les autres membres civils de ce conseil, s’ils doivent encore être confirmés, devront être des technocrates, des professeurs ou des juristes. « Ils représentent la société soudanaise dans son ensemble, ils représentent aussi toutes les régions du Soudan. C’est ça qui était le principe du choix », explique Rachid Saeed Yagoub, porte-parole de l’Association des professionnels soudanais (APS), un mouvement qui a été l’un des fers de lance de la contestation. « Ce n’est pas la filiation politique mais la représentativité et la compétence ». Pour parachever cette transition, une assemblée constituante de 300 membres (dont 40% femmes) sera mise en place dans les 3 mois qui viennent.

Enfin, des élections prévues à la fin de la période de transition Novembre 2022, afin de consacrer la fin de cette transition et le début du nouveau régime. « Tout ce que l’on a fait aujourd’hui est le fruit d’un compromis avec nos militaires. Le pouvoir va être transféré d’ici quelques jours à un pouvoir civil. La présence de militaires dans le Conseil de souveraineté ne gênera pas le travail du gouvernement civil. C’est le gouvernement civil qui aura le pouvoir, car c’est un régime démocratique, parlementaire à la britannique, ce n’est pas un régime présidentiel où le Conseil de souveraineté garde la majorité du pouvoir » s’enthousiasme Rachid Saeed Yagoub.

Un processus ambitieux tant par sa portée que son ambition

Si d’aucuns – notamment les chefs rebelles du Front révolutionnaires soudanais, qui représentent le Soudan rural – critiquaient l’accord avant même sa signature et considéraient que leurs revendications n’ont pas été entendues, il s’agit néanmoins d’une avancée majeure. « Il ne faut pas sous-estimer la réussite du mouvement de protestation soudanais, qui est d’abord d’avoir provoqué la chute d’Omar el-Béchir », note ainsi Murithi Mutiga, directeur de projet Corne de l’Afrique pour l’organisation International Crisis Group (ICG). « C’était quand même un autocrate dont le régime semblait solide, même au cours de ses derniers mois au pouvoir. Il avait l’air inamovible. Il avait survécu aux printemps arabes de 2011. »

« Mais je dois dire aussi que l’opposition civile a aussi fait preuve d’un grand pragmatisme. Sans une révolution violente, il paraissait impossible de balayer totalement un régime solidement implanté depuis trois décennies » ajoute l’analyste. Pour autant, après 30 années de régime militaire, une réforme systémique en profondeur du pays s’impose pour démilitariser la société, en particulier l’économie. « Le plus gros défi du gouvernement sera le démantèlement des (entités informelles) islamistes qui ont pris le contrôle de toutes les institutions de l’État et des secteurs clés de l’économie » note ainsi Rosalind Marsden, du groupe de réflexion Chatham House établi à Londres.

Le Soudan devra également sortir de trente ans de charia et de police des mœurs alors même que les relations entre l’armée et les civils sont animées par une méfiance mutuelle. Un cocktail explosif quand on sait que la situation ne va pas s’améliorer du jour au lendemain. « Si les choses ne s’améliorent pas à court-terme, poursuit-elle, il est certain qu’on peut s’attendre à ce que les gens se mobilisent à nouveau », note ainsi Anne-Laure Mahé, chercheuse à l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire à Paris. La route promet donc d’être turbulente avant que le Soudan ne devienne la démocratie libérale que le peuple appelle de ses vœux. Mais le plus dur est fait : les parties ont décidé d’essayer de s’entendre.

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