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Salvini peut-il être pris à son propre jeu ?

Les étoiles sont-elles alignées pour Matteo Salvini ? Après son très bon score aux européennes – 34% qui le place largement en tête devant le Partito Democratico (PD) et ses 23 % – la Ligue caracole à la tête des sondages. « Il serait très surprenant de voir Salvini atteindre les 40 % (certains sondages le créditent de ce score), mais il paraît réaliste de dire qu’il frôlera les 33 % » estime le professeur de géopolitique Alphonse Moura. Son action pour le moins musclée comme ministre de l’intérieur lui a donc valu un soutien croissant chez les italiens.

En plein milieu d’un été agite, Salvini a décidé de jouer son va-tout en réclamant, jeudi 8 août, l’organisation d’élections anticipées le plus « rapidement » possible, décrétant l’éclatement de la coalition au pouvoir. « Allons tout de suite au Parlement pour prendre acte qu’il n’y a plus de majorité (…) et restituons rapidement la parole aux électeurs » a-t-il annoncé entre deux séances de bronzette. Ce faisant, Salvini espère recentrer la vie politique du pays autour de lui.

Son pari est de créer une alliance avec la droite traditionnelle, en pleine débauche électorale (moins de 10%), et donc en demande de parrainage politique pour revenir sur le devant de la scène politique. La Ligue a en effet été à la tête de plusieurs coalitions de gouvernement historique avec le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia. Aussi, la proximité politique entre les deux familles n’est pas neuve, et il existe au sein du parti d’extrême droite un contingent de personnalité ayant une expérience ministérielle non négligeable de nature à rassurer les électeurs.

Vers une alliance des droites ?

Cette sortie sonne le glas d’une alliance de la carpe et du lapin après 14 mois de cohabitation. Les polémiques incessantes entre les deux forces au sein du gouvernement ainsi que l’inversement des popularités au sein de la majorité laissaient présager un éclatement imminent : incinérateurs dans la région de Naples, ligne TGV Lyon – Turin, les sujets de discorde étaient nombreux. Et c’est justement ce dernier que Salvini a décidé d’exploiter – mettant en avant l’opportunité manquée de création d’emplois – pour trahir son allié.

« Ce n’est pas du ressort du ministre de l’intérieur de convoquer le parlement, ce n’est pas à lui de dicter les étapes de la crise politique » a réagi Guiseppe Comte, le chef du gouvernement, issu du Mouvement 5 Etoiles (M5S). Mais ses protestations ne pèsent pas très lourd face au lien de proximité que le chef de la Ligue a su établir avec les italiens à force de volontarisme affiché et de communication coup de poing.

Et c’est ce lien qui fait que les électeurs italiens n’ont pas peur de voter massivement pour un parti d’extrême droite. Quel que soit le score du parti, il sera le pivot de la vie politique italienne. Et il peut même espérer l’emporter : selon un sondage Ipsos, publié dans Le Corriere della Sera, le parti mené par l’actuel ministre de l’Intérieur se rapprocherait de la majorité absolue avec 297 sièges sur 618 à la Chambre des députés. En s’alliant avec les « Frères d’Italie », héritiers du fascisme, une coalition des droites remporterait 358 sièges et donc la majorité absolue.

Des obstacles non négligeables

Dans cette perspective, Salvini veut un nouveau vote dès la rentrée. Mais il risque de se heurter à la résistance du Président de la république italienne, Sergio Mattarella qui mènera certainement des consultations pendant plusieurs jours pour explorer la possibilité d’une nouvelle majorité gouvernementale. Si – et seulement si – aucune majorité n’est trouvée, il faudra alors procéder à de nouvelles législatives, scrutin lors duquel Salvini espère répéter son résultat européen.

Mais là encore, la procédure pourrait jouer contre la Ligue : il faut en effet une campagne d’une durée minimale de 60 jours pour tenir un tel vote. Or, le budget doit être présenté dans le courant du mois de septembre – et il est fort à parier que Sergio Mattarella repousse les législatives à une date antérieure à cette étape cruciale de la vie politique italienne. Cela laisse donc presque 4 mois aux autres forces politiques pour se reformer alors qu’un nouveau gouvernement technique assurerait la transition.

Une autre question série de questions se pose : s’il devient Président du conseil, quelle politique Salvini va-t-il mettre en œuvre ? Peut-il durer au pouvoir – il est en effet plus délicat de diriger un pays paralysé par une croissance atone et une dette dangereusement élevée (valeur absolue, la dette grecque s’établit à 337 milliards pour les Grecs conter 2350 milliards pour les Italiens) que de prendre des décrets anti-migrants et multiplier des déclarations sans substance ?

« Qu’il soit sincère ou non, Salvini fait des promesses intenables » résume l’ex-ministre italien de l’Économie, Pier Carlo Padoan. Entre ses engagements de baisser les impôts, l’âge de la retraite et autres jetons distribués à son électorat, fort est à parier que sa popularité ne soit pas longue à s’étioler avec la pratique du pouvoir – et qu’il subisse alors le même sort que le M5S. Ce qui n’aura rien fait pour enrayer le phénomène de paupérisation que connaissent les italiens.

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