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Le Cachemire, entre fureur et censure

La récente suppression par décret ministériel de l’autonomie du Cachemire indien a remis cette zone de tensions au premier plan de l’actualité – malgré un réel effort du gouvernement indien de faire comme si de rien n’était. Cette région hautement volatile comprend en effet la vallée du Cachemire, à majorité musulmane, le Jammu, une zone à majorité hindoue, et le Ladakh, à majorité bouddhiste. Rattaché à l’Inde au moment de la partition Inde-Pakistan car la région était dirigée par un maharajah hindou, elle est depuis au cœur des tensions entre Delhi et Islamabad. De fait, cette région est à l’origine la première guerre indo-pakistanaise en 1947.

Le cessez-le-feu qui intervient en 1949 instaure une ligne de contrôle au-delà des territoires conquis par le Pakistan, l’Azad Cachemire (le Cachemire libre), qui sert encore de frontière de facto entre les deux pays. Le Conseil de sécurité de l’ONU, ordonne à l’époque le retrait des troupes pakistanaises et l’organisation d’un référendum au Cachemire indien – mais aucune des deux parties ne s’exécute. L’Inde consent tout de même à accorder un statut privilégié au Cachemire, qui lui assure un haut degré d’autonomie. Une solution qui aura su maintenir un certain apaisement dans la région – jusqu’à la suppression brutale de son autonomie, le 5 août dernier.

Une région décapitée  

A l’annonce de suspension de cette autonomie, la classe politique du Cachemire a été purement et simplement décapitée. Une très large majorité des responsables politiques, en dehors des membres du BJP, le parti nationaliste hindou au pouvoir à New Delhi, ont été arrêtés. Mais ces interpellations brasseraient bien plus large d’après le peu d’informations qui nous parviennent. L’Agence France-Presse parle de plus de 4 000 civils seraient emprisonnées ou assignées à résidence. La suspension des communications, de la couverture médiatique, l’interdiction des rassemblements et le déploiement de dizaines de milliers de forces armées omniprésentes ont pour l’instant permis d’éviter que la situation ne vire au chaos, mais une colère sourde gronde.

Les quelques tentatives de protestation ont été matées sans ménagement par le premier ministre nationaliste-hindou, Narendra Modi – une situation à des lieux du discours officiel du « tout va bien » est diffusé par les médias indiens. Pour Dehli, il s’agit d’une « affaire interne » et l’Inde n’a « pas besoin de l’aide d’une tierce partie pour résoudre ses problèmes ». Mais des avis divergents commencent à se faire entendre : « L’Inde nationaliste hindoue vient de s’aliéner une population entière », résume le professeur Noor Ahmad Baba, politologue à Srinagar. « Le 5 août, le gouvernement a tué la démocratie au Cachemire » estime pour sa part Shehla Rashid, secrétaire générale du mouvement populaire du Jammu-et-Cachemire

« Une prison à ciel ouvert »

« Généralement, quand des violences ont lieu, l’Internet mobile est interrompu pendant un ou deux jours dans certaines parties du Cachemire. Mais c’est la première fois que toutes les formes de communication sont coupées pendant aussi longtemps » explique la militante – une des rares encore en liberté. « Même au pic de l’insurrection, en 1989, on pouvait utiliser les téléphones. » Aujourd’hui, les craintes vont bon train depuis la suspension de de l’article 35-A de la Constitution, qui garantissait aux Cachemiris un droit exclusif à la propriété. « L’Inde va donner nos terres aux hindous ! C’est la Palestine » entend-t-on dans la rue. S’il est délicat de confirmer ces rumeurs, force est de constater que le lien de confiance a bien été rompu.

 Désormais, les deux camps se livrent à une véritable guerre de l’information – asymétrique, s’il en est – et les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à se rendre sur place. A Srinagar, des témoins affirment que des manifestants ont été tués. Quoi qu’il en soit, la situation n’est pas près de s’améliorer – en attestent les deux visites françaises de Modi, ainsi que son échange de quarante minutes avec Donald Trump en marge du sommet du G7, qui semblent indiquer qu’il cherche discrètement à mobiliser ses soutiens en vue d’une crise majeure à venir.

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