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Impeachment de Trump : est-ce la fin du parcours ?

Jamais encore dans l’Histoire américaine un président n’a été destitué. Donald Trump sera-t-il le premier à être viré manu-militari de la Maison blanche ? C’est la question que pose la récente publication contrainte par une administration présidentielle sous pression de la conversation téléphonique entre Donald Trump et le Président ukrainien, Volodymyr Zelensky datant du 23 juillet dernier. En cause, les appels insistants du Président américain pour lancer une enquête criminelle Joe Biden, ancien vice-président et candidat à l’élection de 2020.

Ce dernier serait d’après Trump venue en aide à son fils, Hunter, qui travaillait dans une entreprise gazière ukrainienne. Joe est suspecté d’avoir fait licencier le procureur ukrainien chargé d’enquêter sur une potentielle affaire de corruption au sein de ce groupe. L’intéressé se défend en rappelle que le FMI demandait le départ de ce procureur, accusé de fermer les yeux sur les problèmes de corruption gangrenant le pays. Dans cette opération de « transparence », Washington veut mettre un terme à la spéculation haussière qui entourait ces révélations d’un lanceur d’alerte issu des services secrets.

D’après le transcrit de l’échange entre les deux Présidents, Trump a pourtant bien mis son homologue sous pression, en conditionnant unilatéralement le versement d’une aide militaire à Kiev de 400 millions de dollars – pourtant votée par le Parlement américain – à l’ouverture de ladite enquête sur les Biden. Depuis, l’avocat personnel et bras droit de Trump, Rudy Giuliani, a régulièrement été en contact avec le cabinet du Président ukrainien. Une affaire aux airs de déjà vu, après les appels à Moscou afin de décrédibiliser son ancienne rivale Hillary Clinton.

La digue a cédé

En réaction à ces révélations, les démocrates ont ouvert cette semaine une enquête contre le 45e président des États-Unis, en vue d’une destitution. « Le président doit être tenu pour responsable de ses actes. Personne n’est au-dessus de la loi » a réagi la Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi. Plus largement, c’est la majorité du camp démocrate, qui rechignait à lancer une procédure d’impeachment, qui a changé son fusil d’épaule. Ils se rappellent en effet de la tentative manquée contre Bill Clinton, lors de l’affaire Monica Lewinsky, qui avait fini par renforcer sa popularité.

Mais une étape a cette fois été franchie : des preuves officielles ont été rendues publiques par l’administration américaine. Impossible de ne pas réagir pour l’opposition. En outre, un lien personnel et direct a été fait avec le Président américain, contrairement à l’affaire de l’ingérence russe où il n’était pas certain qu’il était personnellement dans la boucle. C’est aussi ce que voulait la branche plus progressiste du parti démocrate, qui voulait une telle procédure. Pour autant, tout n’est pas joué : c’est le début d’une longue et incertaine phase politique.

L’impeachment se fait en deux temps : d’abord, une enquête est ouverte sur vote de 50% de la chambre des représentants – une phase assurée par la majorité démocrate renforcée par quelques républicains transfuges. Mais ce sont les 100 sénateurs qui seront les juges des agissements de Trump. Et ce alors même que les républicains ont une majorité dans cette chambre. Si celle-ci décidait cependant de sanctionner son candidat, il serait remplacé par le Vice-président Mike Pence. Il est toutefois quasiment acquis que le parti reste fidèle à son président et ne donne pas suite.

Une campagne sur des idées ou des personnes ?

De son côté, Donald Trump a jugé hier le scandale « ridicule » et a dénoncé une « chasse aux sorcières de caniveau ». Pour lui, il s’agit d’une machination politique qui l’oppose à l’ « état profond ». Pourtant, directeur de la CIA, placé par nul autre que Trump aurait retenu l’information pendant des semaines pour tenter d’étouffer l’affaire. Trump, quant à lui, a commencé par nier l’existence de cette conversation, mais explique désormais n’avoir « mis aucune pression » sur le dirigeant ukrainien, malgré un texte qui tend à prouver le contraire.

L’affaire déchire le pays en deux. Selon un sondage publié dimanche par CBS, 55 % des Américains (et 90 % des démocrates) approuveraient un tel « impeachment ». Pourtant, Trump martèle que l’enquête « est positive pour son élection », fidèle à sa rhétorique mi-Coué, mi-déni. Et force est de constater qu’il n’a pas forcément tort. L’impeachment est en effet un sujet largement plus politique que judiciaire. Or, il est très improbable que son parti la lâche. En outre, l’ancien candidat de tête démocrate et modéré le mieux placé, Joe Biden, va certainement lui aussi pâtir de ce scandale.

Enfin, les républicains vont pouvoir retrouver leur positionnement victimaire, jouant avec l’idée de l’instrumentalisation de la justice, ce qui risque de faire perdre de vue les sujets de fond à l’opinion publique. Si la santé économique du pays inquiète (60% des américains n’ont pas confiance en Trump pour assurer la prospérité américaine) une telle procédure risque de faire passer ces questions au second plan au profit de la personnalité de Trump. Or, le référendum sur Trump de 2016 avait largement desservi sa rivale, qui n’avait pas su mobiliser son propre électorat.


C’est bien en faisant campagne sur les idées que le parti démocrate peut récupérer les électeurs perdus en 2016. « La procédure de destitution que souhaitaient les démocrates progressistes pourraient en fait desservir leurs candidats. Le bruit politique autour de cette affaire est tellement fort qu’Elizabeth Warren, Bernie Sanders et les autres vont avoir du mal à faire campagne sur le plan des idées, or c’est ce que leurs électeurs plébiscitent » estime ainsi Jean-Éric Branaa, spécialiste de la société et la politique aux Etats-Unis. Pour l’heure, Trump dispose encore du soutien massif des électeurs républicains. Pas certain que l’affaire ne change la donne.

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