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La montée de l’AfD fracture la vie politique en Allemagne de l’Est

En Saxe et dans le Brandebourg, dans deux régions de l’ex-RDA, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a réalisé une progression sensible lors des élections régionales. Pour ce vote mobilisant environ 12% du corps électoral allemand, le parti a réalisé une importante percée avec 22,5% dans le Brandebourg, le Land qui entoure Berlin (contre 12,2% lors du dernier vote, en 2014) et 27,5% en Saxe (contre 9,7% en 2014). Le résultat pourrait sembler une déconvenue pour une formation dont l’objectif était d’arriver en tête de ce scrutin. Mais l’AfD n’en est pas moins, à plusieurs égards, le principal vainqueur des régionales.

Il bénéficie d’une part de la forte hausse de la participation lors de ce vote (66 % en Saxe, soit + 17 points par rapport aux régionales de 2014 ; 60,5 % dans le Brandebourg, soit + 12,6 points). Une progression qui conforte leur légitimité, même si le parti arrive derrière la CDU en Saxe et le SPD dans le Brandebourg. D’autre part, les Verts, autre force politique qui avait connu un essor lors des européennes, ont réalisés des résultats assez décevants dans ces deux Länder industriels – autour de 9% dans les deux régions, alors que les sondages les plus récents les donnaient autour de 14% (+ 4,6 points et en Saxe, + 2,9).

Un résultat qui montre un relatif désintérêt pour ces causes considérées comme bourgeoise – comme dans le pays d’Europe de l’est, où les partis écologiques n’ont pas réussi à mobiliser autant qu’en Europe occidentale. De même, le score de l’AfD est nettement plus faible à l’Ouest de l’Allemagne. Aussi, le parti n’est toujours pas en mesure de décrocher de première place ni être en mesure de gouverner. Il s’est toutefois imposé comme une force politique de premier plan dans plusieurs Länders de l’Est, où il aura une réelle influence sur la vie politique. « L’AfD fait désormais partie du paysage quotidien à l’Est », résume le politologue Karl-Rudolf Korte.

Vers de fragiles coalitions

Ce résultat vient comme un nouvel avertissement pour la fragile coalition qu’Angela Merkel a bâti avec le SPD, et qui peine à se maintenir à la manœuvre au niveau national. Les partis vainqueurs ont d’ores et déjà prévenu qu’ils ne formeraient pas de coalition avec l’AfD, qui présentaient dans ces régions des figures issues de sa frange la plus radicale. Dans ce contexte, les discussions pour former une majorité dans ces deux Länders s’annoncent difficiles. Elles devront en effet regrouper l’actuel tandem CDU/die Linke-SPD, respectivement, et les verts y joueront à chaque fois le rôle de force d’appoint.

Cette stratégie n’est pas sans risque, car un échec des « partis de gouvernement » ouvre largement la voie aux partis jugés infréquentables, qui deviennent alors la seule alternative face à l’élite politique qui tient le pays depuis des décennies. De telles formations disparates sont souvent assez impotentes du fait de désaccord internes. De fait, plus d’un électeur sur deux (54% en Saxe, 51% dans le Brandebourg) juge ainsi que les habitants de l’Est de l’Allemagne sont aujourd’hui traités comme des « citoyens de seconde zone ».

Dans le même temps, les jeunes de ces régions émigrent massivement vers l’Ouest du pays pour fuir le chômage élevé et des salaires trop bas – donnant en un sens raison aux mécontents. A cela, il faut ajouter la politique d’accueil des réfugiés d’Angela Merkel, qui a donné de l’eau au moulin de ceux qui clament que le pays prend davantage soin des étrangers que de ses propres citoyens. Un climat qui conforte largement l’AfD, qui est déjà la deuxième force politique en Saxe-Anhalt et au Mecklembourg-Poméranie-Occidentale (deux autres régions de l’ex RDA, égalent persuadées d’être laissées pour compte).

L’AfD à la croisée des chemins

Voilà un changement de donne majeur pour l’AfD, qui avait commencé comme un parti libéral et eurosceptique de droite mineur. Si le parti a réussi à donner à beaucoup d’Allemands de l’Est la possibilité de faire partie d’une famille politique, son identité politique reste encore un peu floue. Et ce d’autant qu’une frange non négligeable de ses électeurs ne partage pas réellement les visions racistes que diffusent le parti. Hans Stark, secrétaire général du Comité d’études des relations franco-allemandes) à l’Institut français des relations internationales, définit le parti comme « néonazi à la marge et d’extrême droite oui… mais partiellement ».

« C’est un parti composite qui réunit des éléments d’extrême droite et des éléments conservateurs nationalistes, mais qui est encore dans le spectre politique républicain », assure ce dernier. Une caractéristique qui tend toutefois à s’estomper. En atteste son rapprochement avec le mouvement anti-Islam Pegida. « Au début, les dirigeants de l’AfD ont dit qu’ils ne voulaient pas de lien avec les dirigeants de cette mouvance car ils étaient trop radicaux à leurs yeux », rappelle Hans Stark. Aujourd’hui, la tête de liste AfD dans le Brandebourg, Andreas Kalbitz, a participé à une marche à Athènes avec le parti néonazi Aube dorée en 2007.

Ce mariage des extrêmes n’est toutefois pas la seule solution pour une AfD qui a montré de velléités de passer de l’opposition au gouvernement. La partie pourrait ainsi profiter de la déroute de la droite traditionnelle allemande pour lui proposer une alliance salutaire – à l’instar du FPÖ en Autriche. Certaines forces de droite militent en effet déjà pour une alliance avec l’AfD, en particulier la WerteUnion, la frange ultra-conservatrice de la CDU. « Ce qu’on reproche surtout à ce parti est surtout de ne pas faire barrage en son sein aux éléments néonazis » constate Hans Stark. Une tendance dont le parti devra se débarrasser s’il espère toutefois un jour gouverner en Allemagne.

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