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Une nouvelle Commission pour une Europe en mouvement

La composition de la nouvelle Commission « Ursula von der Leyen », censée représenter l’évolution d’une Europe en mouvement, a été annoncée la semaine dernière. La répartition des portefeuilles des 26 membres de l’exécutif européen était très attendue car de facto, le Brexit va ouvrir la voie à une redistribution des cartes au sein de l’Union européenne (UE). En outre, l’Europe fait face à plusieurs défis majeurs : le changement climatique, la crise migratoire, le Brexit, l’essor incontrôlé des GAFA, le retour des tensions commerciales mondiales, la montée en puissance de la Chine, les rapports tendus avec les Etats-Unis et la Russie…

Première évolution, le nouvel exécutif européen contient dans sa forme actuelle presque autant de femmes que d’hommes (13 et 14, respectivement). Autre fait déterminant – bien que connu à l’avance – cette équipe s’est faite sans le Royaume-Uni, qui doit théoriquement quitter l’UE le 31 octobre prochain et a décidé de ne pas y prendre part. On note également la simplification des noms des postes des commissaire, qui atteste certainement d’une volonté d’une plus grande lisibilité pour les électeurs européens, sans doute en réaction à l’hostilité croissante envers des institutions taxées pas certaines de technocratiques.

La nouvelle commission compte 9 de la droite (PPE), qui reste la première formation européenne, malgré un déclin remarqué lors des dernières européennes un peu partout au sein de l’UE. Parmi ces commissaires, on trouve un membre du Fidesz hongrois même s’il a en principe été suspendu du groupe après une énième provocation de son chef de file, Viktor Orban – preuve s’il en fallait que la mesure est avant tout symbolique et sans conséquences réelles pour le parti dont la formation a plus que jamais besoin. On compte également 10 sociaux-démocrates (S&D) – un chiffre important malgré une seconde place, qui atteste du compromis fait pour permettre à Ursula d’obtenir la présidence.

Les libéraux-centristes (ADLE) sont également bien servis, avec 7 membres. La Commission ne compte en revanche qu’un seul souverainiste – en grande partie à cause de à la mauvaise manœuvre politique de Matteo Salvini en Italie, qui l’a exclu du gouvernement où il exerçait toutefois une influence cruciale. Son choix n’aurait certainement pas été le pro-européen Paolo Gentiloni (S&D) ancien ministre des affaires étrangères de Matteo Renzi. Elle ne compte également qu’un seul élu Vert, les grands lésés de cette équipe, malgré une progression notable au Palment. La formation paie ici sa relative inexpérience politique et ses mauvaises manœuvres pour contracter des alliances au lendemain du vote.

La volonté d’une Europe puissance

Pour ses travaux à venir, le ton a lui aussi été donné : la présidente de l’exécutif européen veut une Europe « plus forte sur la scène internationale ». En atteste la création d’un groupe de travail portant le nom d’une « Europe plus forte dans le monde » sous la direction du Haut Représentant aux Affaires étrangères, Josep Borrell. Un virage derrière lequel se trouve la patte d’Emmanuel Macron, moteur dans la prise de conscience de la nécessité d’une politique européenne plus unie et plus affirmative devant les agressions croissantes envers les intérêts européens.

« Macron a théorisé le rôle de l’Europe, et ses arguments ont été repris par la présidente de la Commission européenne, mais il y a une dynamique européenne favorable à cela » souligne Stéphane Séjourné, à la tête de la délégation française de Renew Europe. Preuve que ces idées traversent progressivement le Rhin après des années de réticence. « Je n’attendais que cela ! », a ainsi réagi Franziska Brantner, députée au Bundestag, porte-parole pour la politique européenne du groupe parlementaire des Verts (Bündnis 90/Die Grünen). « L’Allemagne doit saisir ce moment pour reprendre un rôle actif en Europe, rôle qu’elle avait réduit à celui d’être un frein à toute nouvelles initiatives depuis 2008, le début de la crise de l’euro ».

Si pour la France – et dans une récente mesure l’Italie – cela passera par la géopolitique – toute particulièrement une défense commune – la vision allemande se centre davantage sur les questions environnementales. Il en est de même pour le projet de von der Leyen. « L’Allemagne doit mettre fin à sa politique du non envers toutes les initiatives politiques européennes ambitieuses lancées pour répondre au défi de la crise climatique » explique Franziska Brantner. Une position qui trouve ses échos dans le changement de libellé du portefeuille « action pour le climat » qui se transforme en « green new deal » – qui se veut plus volontaire.

Une équipe plus inclusive

Si de nombreux observateurs, en particulier dans les pays de l’Est de l’Europe, ont dénoncé au moment des tractation entourant l’élection d’Ursula von der Leyen et les pistes pour la Commission, un rôle trop central du couple franco-allemand. Ainsi, le groupe de Visegrad (la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie) craignaient d’être mal servis. Ces quatre qui pays font bloc contre l’intégration politique européenne (les deux premiers sont actuellement poursuivis pour des atteintes à l’état de droit) n’ont toutefois pas à rougir. En particulier la Pologne, qui se voit allouer le commissariat à l’agriculture – un poste clé compte tenu des divergences sur la PAC et l’environnement.

Plus largement, les mouvements souverainistes ont reçu un gage considérable avec la création d’un portefeuille de « protection le mode de vie européen ». Une annonce qui a fait grincer des dents dans le camp des progressistes – les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux-centristes de Renew Europe – qui y voient soit une maladresse, soit une victoire idéologique et sémantique des populistes de droite.

« Nous devons être fiers de notre mode de vie européen et nous devons chercher constamment à le préserver, à le protéger et à l’améliorer », a pour sa part justifié la Présidente. « Chaque jour ce mode de vie est contesté par des adversaires de l’Europe venant aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur de nos frontières », souligne-t-elle. « Nous ne devons pas laisser ces forces détourner à leur profit la définition du mode de vie européen. Elles veulent qu’on lui donne un sens opposé à son sens véritable, miner peu à peu nos fondations et semer la discorde entre nous ».

Mais cette décision reflète également l’évolution du PPE, où la branche droitière a gagné en influence portée par des figures comme François-Xavier Bellamy ou le bavarois Manfred Weber. La droite de l’échiquier politique européen, après avoir un temps appelé à sortir de l’UE, a changé son fusil d’épaule devant la catastrophe du Brexit, et appelle désormais à une Europe forteresse. Ils préconisent désormais une prise de contrôle interne plutôt qu’une sortie ainsi qu’un maintien des règles libre-échange très ouvertes, et entraient dans leur sillage une partie de la droite plus modérée, historiquement très pro-européenne.

Reste à savoir si une dynamique unie pourra sortir de cet assemblage assez disparate – les difficultés du consensus européen, en somme. L’Italie, forte de son récent revirement, pourrait ici se joindre à la France et à l’Allemagne pour former un nouveau trio. Cette Commission dépendra aussi largement de la position des Etats membres par rapport au nouveau budget européen, qui déterminera sa marge de manœuvre, comme le rappel la politologue Claire Demesmay, experte des relations franco-allemandes à l’Institut allemand de politique étrangère.

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