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Les leçons du rejet de Sylvie Goulard par le Parlement européen

Jeudi 10 octobre, au terme d’un oral de rattrapage assez terme Sylvie Goulard s’est vue déboutée brutalement par les membres des commissions de l’industrie, de la recherche et de l’énergie (ITRE) et du marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) du Parlement européen. Elle briguait le poste de commissaire européenne au marché intérieur, à l’industrie, au digital et à la défense – un portefeuille très large, fait sur mesure pour la candidate au vu de ses compétences. Celle qui avait un temps appelé les eurodéputés à décider de son sort en leur « âme et conscience » a réagi à la nouvelle en affirmant « prendre acte de la décision du Parlement européen, dans le respect de la démocratie ». Et c’est bien de démocratie qu’il s’agit.

Ce rejet intervient lors de la seconde étape d’une procédure en trois temps. Une candidate au poste de commissaire européen, choisi par son gouvernement, doit en effet passer des auditions devant plusieurs commission parlementaires (chacune spécialisée dans un domaine particulier) avant d’être présentée devant l’assemblée plénière pour une confirmation finale. La première audition est ainsi organisée par la Commission des Affaires juridiques (JURI) qui est chargée d’écarter toute possibilité de conflit d’intérêt. Logiquement, c’est la ou les commission(s) compétente(s) sur le portefeuille du potentiel commissaire qui va statuer dans un second temps sur sa capacité à mener les affaires européennes, avant le vote des eurodéputés en plénière.

L’éthique plutôt que la compétence

Ce sont donc les commissions parlementaires en charge de son portefeuille qui ont rejeté la candidature de Mme Goulard. Mais elles ne l’ont pas fait sur des questions relatives à la compétence de la candidate, mais sur des doutes sur sa probité. La candidate française était en effet mêlée à une affaire d’emploi fictif pour son ancien assistant parlementaire européen devant al justice française. En outre, elle présentait des liens avec l’institut Berggruen (notamment une rémunération complémentaire de 10 000 euros brut par mois), un groupe de réflexion appartenant au financier controversé Nicolas Berggruen, ce qui faisait peser des doutes quant à son indépendance.

Au cours de ses auditions, Mme Goulard n’aura su convaincre les eurodéputés de regarder outre ces deux ombres au tableau, et elle a finalement été écartée dans un souci de déontologie. Arnaud Danjean, élu Les Républicains soulignait la contradiction de cette candidature sans détour : « Une procédure légale en cours dont vous estimez qu’elle ne vous permet pas d’occuper une fonction ministérielle dans votre pays ne peut vous permettre d’exercer une éminente responsabilité en Europe ». A cela on peu ajouter un soutien très relatif de son propre parti (son Président, Dacian Cioloș et son prédécesseur, l’influent Guy Verhofstadt, évitaient soigneusement le sujet). La messe était dite.

D’aucuns y voient un exemple de l’exigence éthique portée par les pays du Nord de l’Europe, très présents dans sa famille politique. Ces derniers sont connus pour l’intransigeance dont ils font preuve dans leurs affaires nationales. Mais plus largement, ce rejet peut être vu comme un coup de poing sur la table d’un Parlement, qui veut affirmer sa puissance dans le nouvel ordre européen. Pendant longtemps la loi était faite le Conseil de l’Europe, qui regroupe les chefs d’état du bloc. Une organisation des pouvoirs qui déplaisait de plus en plus aux eurodéputés, amis aussi à l’opinion publique, qui demande plus de démocratie dans les institutions bruxelloises.

Aussi, le fait que la candidate d’Emmanuel Macron – qui joue un rôle central dans les tractations politiques européennes – soit fragilisée par des doutes déontologiques, en faisait une cible idéale pour remettre à sa place le Président français et reprendre la main sur le jeu politique européen. Un dénouement également prévisible au vu du rejet des commissaires roumain et hongrois, eux aussi écartés pour des raisons de conflits d’intérêts, qui annonçait la couleur.

Le retour des affaires politiques à Bruxelles

Emmanuel Macron a personnellement soutenu Sylvie Goulard. De même, il a joué un rôle conséquent dans le choix d’Ursula von der Leyen pour diriger la commission. Et ce alors même qu’une partie du parlement estimait que le Président de l’exécutif européen devait être le chef de liste du parti arrivé en tête, le spitzenkandidat. En l’occurrence, il s’agissait de Manfred Weber, un bavarois du Parti populaire européen (PPE). Hors de question pour le président français, qui l’estimait francophobe, réactionnaire et pas assez compétent pour le poste. Aussi il a manœuvré pour bloquer sa candidature en faveur d’un profil plus modéré : Mme van der Leyen.

Il s’agit donc d’une déconvenue personnelle pour celui qui s’était hissé en position de chef d’orchestre au lendemain des élections européennes. Et ce d’autant que la déculottée est totale : parmi les deux commissions qui votaient, seuls 29 eurodéputés ont validé la candidature de Mme Goulard, alors que 89 l’ont rejetée. Très remonté, M Macron a fait porter la responsabilité de cet échec à van der Leyen, qui devait assurer son élection auprès des autres chefs de groupes de majorité. Renew Europe, avec le PPE et les socio-démocrates (S&D) se sont en effet associés pour former une majorité au Parlement européen, et le français comptait sur le soutien de ces alliés de circonstance.

Ces formations comptaient pas moins de 70 élus dans ces deux commissions, ce qui lui assurait en principe une victoire facile. Il ressort donc qu’il a été très largement lâché par PPE et S&D qui ont voulu lui infliger une leçon. La droite européenne, privée de son leader, Manfred Weber, était sans doute à l’origine de la fronde. Elle a sauté sur l’occasion de rappeler qu’elle était la première force politique de l’hémicycle (187 élus) et qu’elle ne se laissera pas écarter à toutes les manches. En atteste la fuite accidentelle d’un tweet du parti, sans équivoque : « we are going to kill her ». Un coup d’arrêt d’autant plus savoureux qu’il est infligé au nom de principes éthiques.

L’erreur de communication du PPE a fait réagir le chef de la délégation française Stéphane Séjourné « Sylvie Goulard a été très clairement otage de jeux politique nationaux et européens ». Et ce alors même que le marconiste, se félicitait d’avoir eu la peau du candidat hongrois, Laszlo Trocsanyi (PPE), quelques jours plus tôt. A noter que la Roumaine Rovana Plumb (S&D), pressentie aux transports, a également été rejetée – ce qui met officiellement les trois formations de la majorité à égalité. Si ce rejet met un terme à l’illusion d’unité qu’avait suscité cette triple-alliance, et entamme l’hégémonie marconienne sur la nouvelle commission, il donne surtout le coup d’envoi à une législature qui s’annonce éminemment politique.

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