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Les risques de la politique de sanction tous azimuts de Donald Trump

Au cours de la semaine dernière, les mauvaises nouvelles se sont accumulées pour Donald Trump. On apparait en effet qu’un second lanceur d’alter disposerait, selon le cabinet d’avocats, « d’informations de première main » susceptible d’accélérer la procédure de destitution dont il fait l’objet. Le Président américain est en effet menacé pour avoir fait pression sur son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky afin que celui-ci lance une enquête sur les activités de Joe Biden, un de ses principaux rivaux politiques, candidat à la prochaine présidentielle américaine. Aussi, soucieux de reprendre la main sur le fil médiatique et de rassurer son électorat, Trump a annoncé une nouvelle salve de droits de douane punitifs sur 7,5 milliards de dollars de produits européens.

Ces taxes s’élèvent à 10 % sur les avions et à 25 % sur certains produits industriels français et allemands (machines-outils et avions de ligne – pour venir en aide à Boeing, qui traverse une crise grave) ainsi que des produits alimentaires français, espagnols ou italiens (fromages, salaisons, liqueurs, jus de fruits, fruits de mer le vin et les olives) et les textiles britanniques. « Nous pensons que l’impact sur les exportations pourrait atteindre une valeur d’un milliard d’euros, principalement pour l’agroalimentaire », a indiqué la secrétaire d’État au Commerce espagnole Xiana Mendez. Les autres pays attendent encore la liste définitive de produits visés par la mesure.

Dans la tourmente, Trump fait du Trump. Pour tenter de noyer le poisson, il multiplie les diversion – retrait militaire en Syrie, appels de pied à la Chine pour enquêter sur Biden et l’annonce de cette nouvelle vague de sanctions commerciales. Il la justifie en rappelant que les Etats-Unis sont en situation de déficit avec l’Europe (170 milliards par an). Rappelons que Bruxelles avait initialement proposé de faire front commun avec Washington afin d’accentuer la pression sur Pékin, avec qui les deux blocs ont maille à partir (concurrence déloyale, vols de brevets, nécessité de créer des coentreprises pour exercer en Chine…) mais Trump, très opposé au multilatéralisme, avait refusé.

Un test pour l’union européenne

Cet ensemble d’annonces tout-azimut n’a pas manqué de faire réagir Emmanuel Macron, qui a promptement rappelé qu’« un allié se doit d’être fiable ». « L’Union européenne va désormais devoir réagir(…) probablement imposer aussi des droits de douane punitifs » a pour sa part estimé le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas. Ce faisant, il rappelle la position exprimée par Jean-Claude Juncker lors du G7 de Biarritz, qui avait prévenu que toute attaque contre un état européen susciterait une réponse unanime. Mais si les deux grandes puissances européennes semblent prêtes à riposter, la Commission européenne a préféré botter en touche pour l’heure, déclarant que l’application immédiate de contre-mesures serait « contre-productive ».

Et pour cause : les états membres, divisés sur la question, doivent s’accorder sur une réponse commune. Le gouvernement italien, désireux d’éviter une confrontation directe avec Washington, a par exemple appelé à persuader le président américain de changer d’avis. Réaction également tiède du côté du groupe de Visegrad – qui pour sa part n’est que très peu affecté par ces sanctions, habilement conçues. Les anciens pays du bloc soviétique sont en effet tentés de jouer la proximité avec Washington à mesure que les différents qui les séparent de la ligne politique du couple franco-allemand se multiplient. Et ce d’autant qu’ils éprouvent des difficultés pour faire élire certains de leurs commissaires européens et sont fondamentalement opposés à un rapprochement avec Moscou.

Enfin, tous craignent une surenchère des mesures fiscales punitives, pouvant mener à une crise économique mondiale. Et Washington joue sur cette crainte à plein. Peter Navarro, le conseiller économique de la Maison-Blanche, a ainsi estimé que l’UE « ne doit rien faire en retour » de cette nouvelle vague de sanctions. « Si les États-Unis ne sont pas dans une attitude d’apaisement, l’Europe ne se laissera pas faire », a rétorqué la porte-parole du gouvernement français Sibeth Ndiaye. « C’est au niveau de l’Union européenne que nous devons regarder cela » a-t-elle expliqué, avant de tempérer en ajoutant « qu’il vaut mieux trouver des solutions amiables plutôt que s’engager dans des conflits commerciaux ».

Trump joue gros

Pour l’heure, les 28 pourraient donc s’accorder autour d’une stratégie pour tenter de faire redescendre les tensions. Mais si elle venait à échouer et Washington ne revenait pas à la raison, la brouille pourrait être lourde de conséquences. Et ce qu’autant que Berlin et Paris, prêts à se montrer dans un premier temps conciliants, ont entamé une action devant l’Organisation mondiale du commerce pour légitimer des représailles éventuelles. Déjà engagé dans un bras de fer avec la Chine, devant une économie qui vacille, n’ayant pas réussi à mettre en application son nouvel accord avec le Canada et la Mexique, Trump a beaucoup à perdre à se lancer dans une troisième guerre commerciale – il pourrait ne plus être pris au sérieux dans ces menaces, faute de résultats tangibles à ses gesticulations géopolitiques.

Une telle crise renforcerait nettement la position de la Chine dans son conflit commercial avec la Maison blanche. Un désaveu cinglant pour Trump alors même que Pékin montre les premiers signes d’essoufflement. Elle laisserait aussi des séquelles profondes dans le lien stratégique privilégie entre les européens et les États-Unis. Il est en effet fort à parier que l’UE sortirait renforcée d’une telle confrontation, car elle prouverait une bonne fois pour toute aux états membres qu’ils n’ont en réalité pas tant besoin du soutien de la Maison blanche que celle-ci aime à dire.

Une telle réalisation provoquerait à terme un net recul de l’extraterritorialité de fait du droit américain – et ce d’autant que le droit international va à l’encontre de la pratique. L’EU semble oublier qu’elle est la première puissance commerciale du monde, devant la Chine et les Etats-Unis (45 % du commerce international) et qu’elle ne fait plus face à une menace stratégique directe (230 milliards de budget militaire contre 50 en Russie, avec un écart qui se creuse) et n’a à ce titre plus besoin de la protection américaine autant qu’avant. Seulement, la réponse à apporter ne peut être qu’Européenne. C’est avec les 28 – sans doute bientôt 27 – que Washington a signé ses accords commerciaux, et c’est à l’ensemble d’être solidaire et de répondre quand certains de ces membres sont attaqués.

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