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Nouvelle commission : faux départ, entre partis en géographie

Le Parlement européen montre les muscles. Tout commence le 26 septembre dernier, lorsque les eurodéputés décident de rejeter de la candidature de deux commissaires après leur audition par la commission des « Affaires juridiques », chargée de la procédure de nomination. La première est la roumaine Rovana Plumb, rejetée par 10 voix, contre six en sa faveur par la commission parlementaire, dont elle devait prendre la tête. Peu de temps après suit le commissaire hongrois Laszlo Trocsanyi, qui devait prendre en charge le portefeuille « Voisinage et élargissement ». Les deux sont écartés au motif de discordances et des conflits d’intérêt dans leurs déclarations de situation patrimoniale.

La candidate roumaine a suscité les suspicions du Parlement pour une affaire de prêts litigieux, alors que le hongrois est rattrapé par des liens suspects avec un cabinet d’avocats qu’il a fondé en 1991, avant de devenir ministre de la Justice de Viktor Orban. La commission des Affaires juridiques a donc estimé « que les deux commissaires désignés (roumain et hongrois) ne sont pas en mesure d’exercer leurs fonctions conformément aux Traités et au Code de conduite » note son porte-parole, Jaume Duch. « Il y a un conflit d’intérêt manifeste, ils ne peuvent être chargés des portefeuilles qui leur ont été attribués », a pour sa part estimé Manon Aubry, membre très investi de la commission.

Culture de l’état de droit contre affaires politique         

Après une semaine de tergiversations, Ursula von der Leyen a été contrainte lundi, d’écarter les deux candidats. Dans le même temps, elle a prié les deux capitales de lui présenter des solutions alternatives. De fait, la Présidente de la commission dispose d’une marge de manœuvre limitée, ayant été confirmée par le Parlement grâce à une majorité de 9 voix seulement. Elle a de plus déjà joué son atout pour mettre un terme à la vive polémique à propos du portefeuille sur le « mode de vie européen ». Aussi, les eurodéputés ont sans doute voulu cette fois s’affirmer comme une force capable de tenir tête à l’exécutif et aux états membres, en réponse aux accusations répétée de manque de démocratie des institutions européennes.

Après l’indignation des premiers temps, comprenant qu’il n’avait guère le choix, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, a proposé un nouveau candidat : l’ambassadeur hongrois auprès de l’Union européenne, Oliver Varhelyi. « Un technocrate », et non « un politique » a ironisé celui qui aime à dire qu’il combat les élites bruxelloises. « Son CV fait bonne impression », a réagi le porte-parole d’Ursula von der Leyen, conciliante. Le président roumain Klaus Iohannis (centre droit) a quant à lui convoqué sa Première ministre, la sociale-démocrate Viorica Dancila. Les rumeurs disent que le pays pourrait imiter le choix hongrois et proposer son propre ambassadeur à Bruxelles, Luminiţa Odobescu.

Cet incident souligne les difficultés liées au contexte politique tendu après les dernières européennes à couteau tiré. Aussi, il fait craindre un risque de contagion à d’autres postes de commissaires, où les candidats seraient retoqués pour des raisons politiques. Les deux candidats écartés sont en effet une sociale-démocrate et un représentant de la droite conservatrice. Si l’office antifraude européen, l’Olaf, a clôturé vendredi soir l’enquête concernant le Polonais Janusz Wojciechowski, c’est chez Renew Europe que la prochaine sentence pourrait tomber en représailles. La candidature de la française Sylvie Goulard au Marché intérieur est en effet fragilisée par deux enquêtes sur l’affaire des emplois fictifs des assistants des eurodéputés Modem.

Un retour des divisions Est-Ouest ?

« Tous les candidats auront une chance équitable, mais les candidats doivent nous convaincre qu’ils sont qualifiés pour le poste et que leur intégrité est sans reproche », a assuré le groupe PPE. Un appel au calme qui a des airs de menace et fait craindre aux progressistes pour le sort de Mme Goulard. Celle-ci est a toutefois d’ores et déjà remboursé 45 000 euros, correspondant aux salaires de son ancien assistant parlementaire, ce qui d’une certaine façon, la place en amont de la crise. En outre en politique, tout se monnaie. Rappelons ainsi qu’en 2014, le socialiste français Pierre Moscovici et le conservateur espagnol Miguel Arias Canete n’avaient été approuvés qu’à la faveur d’un arrangement entre les deux formations. Aussi, ALDE et consorts devrait selon toute vraisemblance se positionner en faveur des deux nouveaux candidats, afin de tenter de sauver leur poulain.

L’affaire, en revanche, ne risque pas de réduire les tensions croissantes entre l’Est et l’Ouest. Christian Lequesne, responsable au CERI du projet de recherche européen, rappelle ainsi qu’il faut « éviter de stigmatiser les pays d’Europe centrale ». Le groupe de Visegrad a en effet accumulé les rixes avec Bruxelles sur des dossiers relatifs à l’état de droit. « Ils ont une telle mémoire victimaire, un tel rapport à l’hégémonie des grands, qu’il faut éviter à chaque fois que cela est possible de les réactiver », estime M Lequesne. Pourtant, la candidate tchèque et le candidat slovaque ont été élus sans problèmes – ce qui montre qu’il n’y a pas de rejet systématique des candidats présentés par Visegrad par les autres Etats membres – et que les motifs soulevés pour ces rejets sont avant tout éthiques.

Le risque est toutefois que les pays d’Europe centrale s’estiment victime amalgame simplificateur entre illibéralisme et corruption. « Pendant longtemps l’adhésion commune, en apparence, au libéralisme politique et économique, a maintenu une forme d’unité en Europe. Mais la radicalisation progressiste à l’Ouest, avec son relativisme culturel et son immigrationnisme, a rompu cette unité » analyse le spécialiste de l’histoire de l’Europe, Edouard Husson. « Il est significatif que les plus offensifs contre les candidats présentés par la Roumanie et la Hongrie aient été menés en priorité par les Verts et les libéraux de Renew », ajoute-t-il. Quoi qu’il en soit, cet épisode promet un nouveau round de tractations politiques, et annonce la couleur pour la Commission à venir, qui devra faire avec un Parlement sur l’offensive qui n’hésitera pas à s’opposer à elle.

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