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Retour des tensions en Catalogne

La semaine dernière a marqué un retour de vives tensions en Catalogne. Après plusieurs marches pacifiques (plus d’un demi-million de Catalans ont manifesté vendredi dernier), des heurts opposant des radicaux et la police ont éclaté à Barcelone, mais aussi Tarragone et Leida. Si le conflit protéiforme dure depuis plus de deux ans, les manifestants demandaient spécifiquement l’amnistie des 7 élus du parlement et des 2 responsables associatifs condamnés par le Tribunal suprême de Madrid – une institution dont les membres sont nommés par nul autre que le gouvernement.

Les leaders indépendantistes ont été condamnés à des peines de 9 à 12 ans de prison pour « rébellion, sédition, détournement de fonds et abus de pouvoir ». Oriol Junqueras, l’ancien vice-président régional catalan, a même écopé d’une peine 13 ans pour son rôle dans les tensions de septembre-octobre 2017. Les indépendantistes avaient alors organisé un referendum d’auto-détermination – illégal aux yeux de Madrid – et proclamé la république indépendante Catalogne après un vote boycotté par une partie des unionistes et largement empêché par les forces de l’ordre.

Ces peines, si sévères soient-elles, sont tout de même un allègement par rapport à ce que demandait le gouvernement de Mariano Rajoy (droite) au pouvoir lors de la crise de 2017. Dans un arrêt fleuve de 493 pages, le juge chargé de l’affaire, explique ne pas avoir retenu les accusations de « rébellion » (qui suppose une violence structurelle et planifiée), une « nuance extrêmement importante » souligne Nacima Baron, professeur à l’UPEM. Une telle qualification aurait en effet ouvert la porte à des peines pouvant aller jusqu’à 25 ans – tout en officialisant la position de Madrid sur la crise catalane.

Évolution du mouvement

Les troubles de les semaine dernière ont été cette fois organisés à l’initiative d’un mouvement du nom de Tsunami démocratique. Apparu aux yeux du grand public sur Twitter le lundi, ce « mouvement citoyen » veut « reprendre la bataille sans la violence et la désobéissance civile ». Afin d’assurer l’anonymat de ses membres, il fonctionne via une application F2F, dont la création a été à une réunion des dirigeants catalans en exil à Genève en septembre dernier (le président de la Generalitat, Quim Torra, de son vice-président, Pere Aragonès, et du président du Parlement, Roger Torrentréponse).

Devant l’évolution de la contestation en groupe sans visage, actif en ligne et dans la rue, le pouvoir central espagnol est pris de court. A moins d’un mois des législatives (organisées dans l’urgence, faute de majorité pour gouverner le pays), le Premier ministre par intérim, Pedro Sanchez, semble dans l’embarras le plus complet. Celui qui promettait une autre gestion de la crise après avoir renversé le gouvernement conservateur, en partie à cause de sa gestion catastrophique de la crise catalane, pourrait bien lui aussi en faire les frais.

S’il voulait s’appuyer sur les indépendantistes pour former une majorité, il refuse aujourd’hui tout dialogue avec le président régional catalan, Quim Torra, ne condamne pas clairement les violences. « Il y aura une issue politique possible à partir du moment où Pedro Sanchez acceptera de discuter », estime toutefois Mariana Sanchez, journaliste et analyste catalane, qui suspecte le dirigeant de « jouer le pourrissement ». Une position peu productive au moment où une large majorité de la constellation indépendantiste semble disposée à dialoguer avec le gouvernement.

Sanchez est toutefois sous pression d’une partie de son électorat qui ne comprend pas les demandes catalanes. En face, le Parti populaire (droite) surfe sur le mécontentement croissant d’une part de cette frange de la population espagnole et renforce sa rhétorique belliciste – ses membres parlent de créer un délit pénal spécifique pour mieux réprimer les indépendantistes. Une attitude qui ne risque pas, elle non plus, de baisser les tensions. « En Catalogne et en Espagne, on entend souvent dire que le plus gros recruteur d’indépendantistes, c’est Mariano Rajoy » soulignait ainsi récemment Mariana Sanchez.

L’Europe dans l’embarras

L’affaire embrasasse aussi à Bruxelles – et ce d’autant que les catalans n’ont eu de cesse de demander son soutien à l’UE. A l’ouverture de la séance plénière du Parlement européen, le lundi 21 octobre Philippe Lamberts, coprésident des verts (une formation qui compte notamment dans ses rangs le parti indépendantiste catalan Esquerra Republicana de Catalunya) a proposé d’ajouter à l’ordre du jour « la situation en Catalogne, à la suite de la condamnation des leaders politiques ». Sa requête a été massivement rejetée – 299 voix contre 118 pour et 21 abstentions.

Ce rejet est largement imputable au refus des trois partis majoritaires (PPE, S&D et Renew Europe) de prendre parti sur ce dossier épineux. L’eurodéputé socialiste espagnol Javier Moreno Sánchez, a ainsi estimé « que porter devant cet hémicycle un débat relevant des affaires internes d’un pays membre où la démocratie fonctionne, et où personne n’est au-dessus des lois, n’a[vait] pas le moindre sens ». Après le Brexit et face à la montée des partis eurosceptiques, les élus européennes craignent d’envenimer une situation nationale et communautaire déjà difficiles.

En outre, la question du fondement d’une action européenne est réelle. « Le principe général des institutions européennes est de ne pas faire d’ingérence dans les affaires intérieures des États membres » note Cyril Trépier, politologue spécialiste de l’Espagne. Et si des recours sont en préparation pour dénoncer la potentielle partialité de la justice espagnole (sujet récurrent à Bruxelles) « la Cour européenne des droits de l’Homme ne pourrait se prononcer que sur les droits des prévenus au cours du procès, absolument pas sur le fond de l’affaire », rappelle-t-il.

En mai 2019, la Cour avait ainsi jugé que la décision du Tribunal constitutionnel espagnol de suspendre la séance plénière du Parlement catalan censée officialiser l’indépendance de la Catalogne, était « nécessaire dans une société démocratique, notamment pour le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la protection des droits et libertés d’autrui, au sens de l’article 11-2 de la Convention européenne des droits de l’homme ». Une position qui coupe court aux espoirs catalans de trouver un soutien à Bruxelles – si ce n’est pour superviser un nouveau referendum, cette fois légal.

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