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Auditions au Congrès : un point de bascule ?

Une étape cruciale a été franchie hier dans la procédure de destitution qui vise Donald Trump. Cette affaire, initiée par l’appel controversé du 25 juillet de Trump à son son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky a donné lieu à une série de témoignages accablants – notamment l’ancien ambassadeur Bill Taylor. Le Congrès américain cherche en effet à savoir si la Maison blanche a bien cherché à forcer le Président ukrainien à ouvrir enquête sur le populaire candidat démocrate Joe Biden et retenant arbitrairement une importante aide militaire due au pays.

L’affaire pourrait bien avoir atteint un point de bascule ce mercredi, avec le témoignage de l’ambassadeur auprès de l’UE Gordon Sondland. Ce dernier a donné une multitude de détails sur le déroulé des faits. « J’ai été informé pour la première fois que la Maison Blanche avait retenu l’aide de sécurité à l’Ukraine lors de conversations avec l’ambassadeur Taylor le 18 juillet 2019. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, je n’ai jamais pu obtenir de réponse claire concernant le motif précis de cette suspension » a-t-il expliqué.

Une seconde audition – à la demande des Républicains

Sondland ne s’exprimait pas pour la première fois devant le Congrès, mais première audition publique – devant le grand public, donc. Son témoignage a, pour la première fois, tout fait remonter au Président américain à travers son avocat personnel, Rudy Giuliani. L’ambassadeur a révélé s’être entretenu directement avec le Président une demi-douzaine de fois sur les pressions exercées sur Zelensky. « Tout le monde était dans la boucle » a-t-il révélé. Ce faisant, Sondland a impliqué une liste ahurissante de responsables américains, dont l’envoyé spécial pour l’Ukraine, Kurt Volker, et le ministre américain de l’Énergie Rick Perry– qui avec lui, forment un trio qui se surnomme les « Three Amigos » – mais aussi le secrétaire d’État Mike Pompeo, son conseiller Ulrich Brechbuehl, la secrétaire exécutive au Département d’État Lisa Kenna ainsi que l’ambassadeur John Bolton.

« Nous avons donc suivi les ordres du président »

« Le secrétaire (à l’Énergie) Perry, l’ambassadeur (Kurt) Volker et moi-même avons travaillé avec M. Rudy Giuliani sur les questions relatives à l’Ukraine sous la direction expresse du président des États-Unis. Nous ne voulions pas travailler avec M. Giuliani », a-t-il poursuivi. « En termes simples, nous avons joué la main qui nous avait été distribuée. Nous avons tous compris que si nous refusions de travailler avec M. Giuliani, nous perdrions une occasion importante de consolider les relations entre les États-Unis et l’Ukraine. »

« M. Giuliani a demandé à l’Ukraine de faire une déclaration publique annonçant [l’ouverture de deux] enquêtes. M. Giuliani exprimait les désirs du président des États-Unis et nous savions que ces enquêtes étaient importantes pour le président », a-t-il noté, avant de conclure sans appel : « Nous avons donc suivi les ordres du président ». Cette thèse, niée en bloc par le Président et son parti, a donc officiellement été confirmée par un acteur de premier plan, qui avait des contacts directs avec Trump.

La défense Républicaine mise à mal

En plus d’implique directement Trump, durant son audition, Sondland a employé les mots « quid pro quo » (un accord « donnant-donnant », exactement ce que l’opposition reproche au Président). Ces informations mettent à mal la ligne de défense du Parti républicain, qui avait serré les rangs autourde Trump. Ces derniers avaient en effet réfuté tout « quid pro quo », avant d’admettre qu’il y avait eu des échanges suspects mais en réfutant leur gravité, puis en estimant que ces faits « graves » n’étaient pas de nature à justifier une destitution.

Après avoir exigé que les auditions ne se fassent plus en huit-clos, au motif que la Chambre des représentants manigançait à l’insu du peuple, le Grand Old Party (GOP) doit se mordre les doigts. Certains élus conservateurs disent désormais que la procédure n’aurait jamais dû se tenir en public, exposant les électeurs à des faits partisans (la fameuse « chasse aux sorcières »). Non sans ironie, ils en font désormais porter la responsabilité aux démocrates.

Quel effet sur l’opinion publique ?

Sur Twitter, le président Donald Trump a tenu sa ligne, en écrivant en pleine audition (en lettres majuscules !) : « Cette chasse aux sorcières si néfaste pour notre pays doit cesser, maintenant ! » Mais si ce témoignage est dévastateur pour lui, il n’est pas certain qu’il soit fatal. Gordon Sondland a en effet confirmé que Donald Trump n’a jamais évoqué explicitement avec lui l’aide militaire américaine à l’Ukraine, bloquée sans motif officiel par la Maison Blanche.

Si l’ambassadeur estimque qu’il y a bien « quid pro quo » ; il a précisé que lors d’une conversation téléphonique avec le président, datant du 9 septembre, Trump avait exclu tout accord « donnant-donnant » avec Zelensky. La conversation s’est toutefois tenue bien après la révélation de l’affaire par un lanceur d’alerte, et la bonne foi de l’échange est discutable. Bien sûr, cette nouvelle affaire vient s’additionner à toutes les autres, et si la faute de Trump n’est reconnue comme aussi grave qu’il n’y parait, elle pourrait participer à un effet d’accumulation.


Dans cette affaire, il ne fait aucun doute que l’opinion publique sera le seul arbitre, soit en mettant le Sénat sous pression pour obtenir un vote de destitution, soit – plus vraisemblablement – lors des présidentielles de 2020. Mais le relatif désintérêt politique d’une Amérique lassée par les actualités et le biais médiatique systématique – la chaine conservatrice Fox News assène à longueur de journée son « circulez, il n’y a rien à voir » – pourraient aussi faire de cette affaire un pétard mouillé.

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