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Hongkong : l’impasse est totale

Depuis plus de six mois, les tensions ne font que monter à Hongkong. Les manifestants, qui demandent plus de démocratie, ont adopté une nouvelle stratégie (« Blossom Everywhere ») qui a mené à une multiplication des blocages, affrontements et une généralisation du vandalisme afin d’éprouver au maximum les capacités de la police. Le résultat n’a pas manqué : la situation a basculé dans une phase beaucoup plus radicale, et la protestation prend des allures de guerre civile, avec un manifestant blessé par balles à bout portant, la mort d’un étudiant dans des circonstances obscures et la multiplication d’images de policiers tabassant des manifestants – notamment à l’intérieur d’une église.

Depuis dimanche, des étudiants sont retranchés dans le campus de l’Université polytechnique de Hongkong (PolyU), encerclés par la police. Armés d’arcs et de fortune, des catapultes lanceuses de cocktails Molotov et de pavés collectés dans le Centreville, ils ont jusqu’à présent réussi à dérouter toutes les opérations de Police, ont mis le feu à un camion blindé et blessé un policier à la jambe avec une flèche. Les forces de l’ordre ont annoncé dimanche vers minuit, en représailles, leur intention de tirer à balles réelles à l’avenir. Le siège, désormais total de l’université, bloque de fait tout ravitaillement, causant une vague de panique chez les étudiants pris au piège.

Hier, un message de détresse d’une manifestante, a circulé dans la presse : « Je vous écris parce que la guerre entre la police et les étudiants de l’université polytechnique tourne en crise humanitaire […]. Toutes les sorties sont bloquées par la police, ils sont pris au piège sans assez de nourriture et d’eau. Certains sont blessés, mais les ambulances sont empêchées d’entrer, et la plupart des soignants bénévoles ont été arrêtés. La police demande aux étudiants de sortir mais les arrête, les arrose de gaz lacrymos. Elle somme les journalistes de ne plus filmer. […] Les Hongkongais vivent dans la terreur. Je lance un SOS à la communauté internationale. »

Un soutien populaire intact

La situation a atteint une impasse totale, lorsque les manifestant se sont convaincus du fait que la non-violence ne payait pas – une conclusion renforcée par l’échec de la « révolution des parapluies » de 2014, où les hongkongais demandaient à élire leur dirigeant exécutif au suffrage universel. Ces derniers ont publié une liste de cinq demandes, incluant notamment le retrait de la loi d’extradition, qui a mis le feu aux poudres, l’avènement du suffrage universel ou encore une enquête sur les violences policières. Seule la première demande a été prise en compte – beaucoup trop tard pour que cela ne calme la situation.

Et malgré la paralysie de la ville – transports et écoles sont fermés, alors que Hongkong est officiellement entrée en récession – la populations emble encore soutenir la jeunesse insurgée.  Les dizaines d’arrestations, parfois très brutales, effectuées aux abords du campus ces dernières heures n’empêchent pas la population de descendre dans la rue pour soutenir les étudiants. « A voir la solidarité qui s’exprime dans la rue vis-à-vis des jeunes rebelles, il semble qu’une bonne partie des Hongkongais fasse porter la responsabilité de la violence à la police et au gouvernement local », analyse Pierre Haski, dans le podcast Géopolitique.

Une crise sans issue

La chef de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, a estimé mardi matin que les contestataires encore retranchés dans le campus n’avaient d’autre option que de se rendre, s’ils souhaitaient une solution pacifique à la situation. Le même jour, le Quotidien du Peuple lui a emboîté le pas, en publiant un éditorial affirmant qu’« aucun compromis n’est possible ». Et malgré sa relative réserve sur la crise, on sent que Pékin ne veut absolument pas perdre la face, et place ses pions afin de justifier une intervention à venir. « Dans la situation actuelle, le gouvernement de Hong Kong (et donc la Chine) a intérêt à ce que le mouvement se radicalise pour justifier des mesures répressives » note pour sa part Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS sur l’Asie-Pacifique.

Si certains voyaient les élections des conseils des districts de la province semi-autonome comme une moyen de faire baisser la tension, le Chine évoque désormais l’annulation du scrutin. Il s’agit du premier vote depuis le début de la contestation, mais la légitimité du résultat sera inévitablement remise en question. Et pour cause, on se rappelle de l’invalidation de la candidature de Joshua Wong, figure du mouvement prodémocratie, fin octobre. « En fait, c’est tout le système politique de Hong Kong soumis à Pékin, qui est l’objet d’un rejet de la part des étudiants », estime Barthélémy Courmont. En ce sens, le mouvement actuel ne doit pas être analysé comme une crise conjoncturelle, mais comme la conséquence de la mise à mal progressive des fondements démocratiques de Hong Kong ».

A force d’une escalade de la répression, le mouvement prodémocratie est en train de devenir indépendantiste – inacceptable pour le Parti communiste chinois. Si les murs de PolyU sont aujourd’hui encore couverts d’affiches et de graffitis qui indiquent que « les idées résistent aux balles », le dénouement de la crise est ès préoccupant – et fort est à parier que la situation s’aggrave encore davantage dans les journées à venir. A Hongkong, une génération entière risque d’être sacrifiée, exactement comme trente ans auparavant à Tian’anmen.

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