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La mauvaise gestion économique de l’Iran cause une crise profonde

Jeudi dernier, la République islamique d’Iran a annoncé une hausse de 50% du prix de l’essence – qui est d’ordinaire subventionnée. L’annonce en cachait une autre, puisque qu’en réalité, ce prix va tripler après les 60 premiers litres retirés par mois. Le régime affirme avoir décidé de cette mesure afin de lever des fonds pour venir en aide aux plus défavorisés. L’argument n’aura visiblement pas convaincu, et l’annonce a suscité de violents mouvements sociaux contestant la gestion économique du pays.

D’après l’agence Fars News, une des seules sources d’informations dans ce pays très fermé en temps de crise, près de 87 000 personnes auraient manifesté dans une centaine de villes. La colère s’est particulièrement exprimée dans les provinces du Khouzestan (Sud), de Fars (Sud), de Téhéran et de Kerman (centre). Le mouvement semble continuer dans de nombreuses villes, mais un couvre-feu et une répression martiale – avec des tirs à balle réelle – ont contraint les habitants au calme à Téhéran.

Les manifestations ont mené à des heurts avec les forces de l’ordre et un millier de personnes auraient été arrêtées d’après les autorités. Il faut également déplorer 11 morts civils d’après les sources officielles – bien qu’Amnesty International en annonce 106, et que d’autres sources chiffres les victimes à plus de 200. Dans le même temps, les autorités ont annoncé qu’au moins 3 membres des forces de l’ordre tués dans des affrontements avec les insurgés.

Depuis le début de la crise, le régime a imposé un blackout médiatique total, avec une censure d’internet. Une mesure qui n’est pas sans conséquence dans un pays largement tributaire d’internet –64% des 80,6 millions d’habitants sont connectés. La mesure vise à paralyser la contestation, la plupart des habitant se méfiant de téléphone, car les conversations sont écoutées. Aussi, sans moyen de communiquer entre eux ou avec l’extérieur, les iraniens subissent une répression sanglante à huit clos.

Un gestion économique calamiteuse  

De fait, en matière de contrôle de population, l’Iran n’en est pas à son coup d’essai. « La République islamique a retenu la leçon de 2009 puis de 2017 et 2018, et de l’utilisation des réseaux sociaux par les mouvements de protestation. Leur capacité de réaction rapide est indissociable de la construction du réseau d’informations national », explique Mahsa Alimardani, doctorante à l’Oxford Internet Institute. « Depuis 1998 les Iraniens sont tous les deux ans dans les rues en train de protester » mais « allègrement réprimées » ajoute Mahnaz Shirali, sociologue politique, directrice d’études à l’ICP.

Cette fois, c’est la mauvaise gestion économique du régime des ayatollah qui a mis le feu aux poudres, mais les frustrations historiques sont encore bien existantes. « L’idéologie du régime ne correspond pas à la réalité de la vie sociale en Iran », rappelle ainsi Clément Therme, chercheur au CERI-Sciences Po spécialiste du Moyen Orient. « Les autorités tentent de se présenter comme les défenseurs de la sécurité nationale, en présentant cette ’’priorité’’ comme incompatible avec les enjeux de développement économique du pays. Or ce n’est pas une alternative… »

Rappelons également l’immolation d’une jeune iranienne, craignant pour son traitement après avoir tenté d’entrer dans un stade pour assister à un match de football, qui avait provoqué une vague de colère en septembre dernier. Mais aujourd’hui, en Iran, l’urgence est avant tout économique : les caisses vides (une situation empirée par le retour des sanctions américaines). Entre 2017 et 2018, l’économie iranienne est entrée en récession avec un PIB en recul de plus de 3%. Cette année, les perspectives sont encore plus assombries, à -6%, selon le FMI. Le taux de avoisine les 25 %, et 18 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Aussi, la spoliation de la population par un régime corrompu et jugé comme incompétent et concentre toutes les colères. La situation dépasse d’ailleurs largement les sanctions américaines. « Il ne faut surtout pas croire que les Iraniens sont dans les rues à cause de ou grâce à Donald Trump » note ainsi Mahnaz Shirali. Aucun slogan scandé lors de ces manifestations ne vise en effet Donald Trump, et la colère est entièrement tournée vers la classe dirigeante, sa mauvaise gestion et les arguments bellicistes qu’elle déploie pour justifier la situation du pays. Aussi, dans ce contexte, les victoires géopolitiques du régime – notamment en Arabie saoudite – n’ont pas su calmer le peuple.

Vers un changement de régime ?

Au cœur de la crise on trouve une profonde désillusion : les iraniens n’ont plus de foi en la réforme promise par les progressistes du régime. Depuis élection du premier Président progressiste en 1997, Hachemi Rafsandjani, trop peu de choses ont en effet changé. Pire encore, le nouveau gouvernement, libéral, censé assurer une ouverture progressive du pays et un retour de la prospérité, a échoué à tenir ses promesses. La jeune population – 75% des iraniens ont moins de 40 ans – réclame donc un changement. Si certains manifestants demandaient le retour du fils du chah, il semblerait que comme au Liban ou en Irak, le mouvement n’ait pas de leader.

En quatre décennie de pouvoir autoritaire et invasif, la République islamique a profondément désislamisé la population iranienne. La perte de popularité du clergé chiite, qui a consolidé sa place pendant près de 5 siècles, trouve également des échos dans les pays alliés de l’Iran – notamment l’Irak et le Liban précités, où Téhéran était très impliqué politiquement, et où cette présence est de moins en moins bien vécue. Le consulat iranien attaqué de la ville de Bassora, en Irak, a ainsi récemment été attaqué par une foule en colère, ce qui pourrait annoncer le début d’une nouvelle tendance.

Pour autant, s’il est de moins en moins représentatif de sa population, le régime iranien n’en est pas pour autant à bout de souffle. Il peut compter sur une armée qui lui est liée. « Les Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique des autorités, sont extrêmement puissants et balaient toutes prémices de contestation populaire », souligne à Mahnaz Shirali. En outre, lors de l’élection présidentielle de 2017, seize millions d’électeurs ont voté pour le candidat conservateur Ebrahim Raissi. Ces derniers sont farouchement opposés à tout changement de régime et beaucoup se disent prêts à se battre pour le préserver.

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