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L’Iran reprend la production d’uranium faiblement enrichi

Ce lundi, le vice-président iranien Ali Akbar Salehi, également chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA), a annoncé la reprise de la production d’uranium faiblement enrichi dans les installations de Fordo, à environ 180 km au sud de Téhéran. Avec une capacité remontée à 5 kilos par jour, le rythme de ‘enrichissement par L’Iran a nettement accéléré. Ce dernier n’enrichit toutefois que de l’uranium en isotope 235 à hauteur de 4,5 % - soit un niveau très loin du seuil requis pour une utilisation militaire (90 %) ou même l’alimentation de réacteurs de recherche (20%).

La date de cette annonce est hautement symbolique. Le 4 novembre 2019 est en effet le 40e anniversaire de la prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran – une crise qui avait duré 444 jours, durant lesquels cinquante-six diplomates et civils américains sont retenus en otage par des étudiants iraniens. Cet évènement reste aujourd’hui encore une humiliation de taille et une profonde blessure pour Washington. C’est cette prise d’otage qui a mené à la coupure de toutes relations diplomatiques entre Washington et Téhéran – une situation encore irrésolue aujourd’hui.

Outre la provocation évidente de la République islamique, le 5 novembre est aussi la fin du délai de 60 jours donné par Téhéran à ses partenaires de l’accord de Vienne (Chine, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne) pour l’aider à contourner les sanctions américaines.  Le retour des tensions sur ce dossier est en effet dû au retrait unilatéral des États-Unis de l’accord international sur le nucléaire iranien, en mai 2018. En vertu de cet accord, l’Iran acceptait en effet de réduire drastiquement ses activités nucléaires contre une levée d’une partie des sanctions internationales visant Téhéran.

Une réponse la politique américaine de « pression maximale »

L’Iran a assuré être prêt à revenir à l’application complète de ses engagements – ce qui garantit la nature exclusivement civile des ses recherches nucléaires – dès lors que les autres parties respecteront leurs engagements pris au lendemain du retrait américain. Aussi, loin de vouloir envoyer un signal à Washington, avec qui les ponts semblent encore totalement coupés, Téhéran cherche davantage à faire pression sur les autres parties de l’accord. Embarras garanti. En attestent les réactions gauches d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel, sans parler du Kremlin qui, d’habitude très combattif, s’est contenté d’exprimer sa « préoccupation », sans réellement soutenir l’Iran.

Derrière cette annonce il faut voir la réaction exaspérée de l’Iran, qui attend encore le lancement officiel d’Instex (Instrument in Support of Trade Exchanges) Ce mécanisme de troc créé début 2019 pour l’Iran par les Européens était destiné à permettre aux entreprises de l’UE de faire des affaires avec l’Iran en évitant d’utiliser le dollar. Son annonce il y a un an déjà, devait permettre de « compenser ces sanctions et permettre au pays d’exporter son pétrole et restaurer ses relations bancaires avec le reste du monde », décrypte Siavosh Ghazi, correspondant en Iran de RFI.

A noter que le régime se garde toutefois bien d’augmenter sensiblement le taux d’enrichissement, ce qui constituerait une ligne rouge pour les autres parties de l’accord. Il a besoin de ces derniers pour isoler Washington et la politique de pression maximale menée par l’administration Trump. « En se désengageant progressivement de certaines clauses de l’accord de 2015, l’Iran cherche à amener les États-Unis à alléger les sanctions, et à ce moment, peut-être, Téhéran se dira prêt à rediscuter », explique Bruno Daroux, spécialiste des questions internationales.

Vers un enrichissement accéléré ?

Washington a réagi avec virulence à cette annonce. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a appelé jeudi la communauté internationale à prendre des mesures « sévères » à l’encontre du pays.  « Le développement des activités de prolifération de l’Iran fait craindre qu’il ne soit en train de se positionner pour avoir l’option d’une percée nucléaire rapide » a-t-il expliqué. Il est en effet beaucoup plus facile, par effet de levier, de passer d’un enrichissement de 5 à 20 %, puis de 20 à 90 %, que de 0 à 3,67 %. Aussi Washington accuse Téhéran de grignoter sa voie vers le nucléaire militaire.

Même son de cloche en Israël, où le Premier ministre sortant, Benyamin Netanyahou a accusé l’Iran de « continuer à mentir » au sujet de ses ambitions nucléaires. « Les Iraniens grignotent l’accord mais ils le font très intelligemment et de manière extrêmement subtile », analyse pour sa part Marie-Helène Labbé, chercheuse à La Sorbonne, spécialiste de la prolifération nucléaire. « Ils tirent au maximum le champ des possibles, en restant sous le contrôle de l’AIEA et donc sans aller au conflit direct. » Une course au nucléaire se préparerait-elle en douce dans un Iran, résigné à l’autodéfense devant l’intransigeance de l’administration Trump ?

La question est en tout cas assez crédible pour inquiéter les alliés de Téhéran, en premier lieu la Chine et la Russie. « Ils continuent à vouloir convaincre l’Iran de faire demi-tour, ou au moins de ne rien faire d’irréparable avant les prochaines élections présidentielles américaines et donc une possible amélioration de la situation », estime Emmanuelle Maitre, chercheuse à la Fondation pour la recherche stratégique.

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