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Pedro Sanchez face à une Espagne en introspection

L’Espagne votait dimanche dernier lors de nouvelles législatives anticipées, à peine sept mois après les élections d’avril. De fait, il s’agit des quatrièmes élections en quatre ans pour un pays en pleine crise républicaine. Si le parti socialiste (PSOE) avait remporté le précédent scrutin au printemps, il n’avait pas pour autant obtenu de majorité suffisamment probante pour gouverner seul. Aussi, le Premier ministre espagnol par intérim, Pedro Sanchez, n’était pas parvenu à rassembler une majorité de voix au Parlement autour de son projet de loi de finances. Aussi, afin de sortir l’Espagne de l’impasse politique, il a convoqué de nouvelles élections.

Au terme de ce vote, le PSOE reste en tête, avec 120 sièges, soit un recul de trois sièges par rapport à avril dernier. La manœuvre s’est donc soldée par une déconvenue, et ce d’autant que son grand rival historique, le parti populaire (PP – droite) à cette fois obtenu 88 sièges (contre 66 en avril). Ce dénouement empire donc la situation, créant au Parlement une arithmétique impossible, sans majorité claire ni pour le bloc de gauche, ni pour le bloc de droite. L’Espagne est aujourd’hui « un pays plus ingouvernable encore qu’il y a six mois », assène le politologue Lluis Orriols, professeur à l’université Carlos III de Madrid, alors que la quête d’une majorité absolue prend des airs de serpent de mer.

Le pari risqué d’un nouveau vote

Sanchez était pourtant optimiste : ces derniers mois, la cote du Parti socialiste avait grimpé dans les enquêtes d’opinion. Mais il faut croire que ce dernier s’est trop appuyé sur les promesses des instituts de sondage et qu’il ait accordé trop peu d’attention à la grogne croissante dans le pays. Il paie également au prix fort certaines erreurs politiques, comme un revirement au centre qui lui a fait perdre une partie de sa base. Après les difficultés rencontrées dans ses tractations avec le parti de gauche radicale Podemos Pedro Sanchez a en effet décidé de changer son pays d’épaule, et de tendre la main au parti libéralo-centristes, Ciudadanos. Une décision qui lui a couté cher dans son camp, mais aussi stratégiquement : le parti a dégringolé de 57 à 10 députés.

Autre couac : sa décision de personnaliser la question de l’extradition du dirigeant catalan indépendantiste en exil, Carles Puigdemont. Cette prise de position clivante était en outre du seul ressort des Parquets généraux belge et espagnol, et il s’est vu reprocher une tentative d’ingérence dans le domaine judiciaire – dans un pays où les accusations de violation de la séparation des pouvoirs ne sont malheureusement pas si injustifiées. En outre, en Catalogne, l’opinion publique s’est embrasée depuis le verdict du procès des responsables de la tentative de sécession de 2017. Or, Sanchez, qui a tenu une ligne ambiguë sur ce dossier, avant d’avoyer un signal de fermeté avec Puigdemont, a perdu nombre de soutiens dans cette région traditionnellement plutôt à gauche.

Une impasse républicaine

À droite, le Parti populaire et Vox ont quant à eux réussi à capitaliser sur le ras-le-bol d’une partie du pays devant l’enracinement de cette crise. Ils ont sans appel promis une plus grande fermeté policière en Catalogne, allant jusqu’à évoquer la mise sous tutelle de la région. Et c’est bien cette seconde formation d’extrême-droite, encore quasiment inconnue il y a deux ans, qui a le plus bénéficié de ce nouveau scrutin, avec 52 élus, contre 24 en avril. Il devient ainsi la troisième force du nouveau parlement. Vox a eu beau jeu de surfer sur l’afflux de migrants et les contradictions du gouvernement d’intérim en catalogne.

Au lendemain du vote, Pablo Iglesias, dirigeant de Podemos, a ouvert la voie à la formation d’un gouvernement avec les socialistes – là où il avait exprimé des réserves en avril. Mais cette fois, les deux partis en recul ne comptabilisent pas assez de sièges pour obtenir une majorité absolue. Or, il est très improbable que Podemos accepte d’intégrer une autre formation plus à droite, et les récentes prises de positions de Sanchez le privent de facto du soutien du parti indépendantiste de gauche catalan ERC. Aussi, encore plus acculé, Sanchez demande aujourd’hui un vote d’investiture trans-partisan, au nom de la « responsabilité institutionnelle ».

Il espère ainsi que la droite imite les socialistes, qui il y a trois ans s’étaient abstenus pour favoriser l’investiture du conservateur Mariano Rajoy. Sanchez, qui était à l’origine de la motion de censure (1er juin 2018) contre Rajoy, semble être aujourd’hui devenu l’arroseur arrosé. Mais plus largement, cet épisode semble sonner le glas du bipartisme espagnol, né lors de la sortie du franquisme. L’ancien ordre est désormais mis à mal par l’émergence de nouveaux partis politiques, mais par manque d’expérience de pluralité, les élus espagnols éprouvent les plus grandes difficultés à former des coalitions. Le PSOE, arrivé en tête du vote, devra tout de même constituer un gouvernement. Reste à trouver comment.

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