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Zoom sur la procédure de destitution de Trump a la veille des auditions publiques

Mercredi 13 novembre, les auditions publiques devant le Congrès de l’enquête de destitution visant Donald Trump vont commencer. Le Président américain est accusé d’abus de pouvoir à des fins personnelles – il aurait fait pression sur son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky lors d’un appel datant du 25 juillet. Trump a en effet conditionné à « une faveur » le versement de 391 millions de dollars d’aide militaire pour le pays en plein milieu d’une guerre civile fomentée par la Russie. Il réclamait en échange que le parquet de Kiev ouvre une enquête sur Joe Biden, candidat à l’investiture démocrate et son fils Hunter, employé entre 2014 et 2019 par un grand groupe gazier ukrainien.

L’affaire a été portée à la connaissance du public – et des élus américains – par un lanceur d’alerte. La Chambre des représentants où l’opposition démocrate est majoritaire a décidé d’ouvrir une procédure de destitution en conséquence. Aujourd’hui, une partie de l’entourage de Donald Trump refuse de coopérer avec la Chambre, et dénoncent des manœuvres de « bureaucrates non élus » ou de l’ « état profond ». Il ressort toutefois de l’enquête du Congrès que Zelensky devait annoncer l’ouverture d’une procédure judiciaire visant les deux hommes le 13 septembre – ce qui n’a finalement pas eu lieu, puisque l’aide promise a été débloqué deux jours plus tôt.

Des accusations graves

La publication, du 4 au 8 novembre, des témoignages recueillis à huis clos par la commission chargée des affaires juridiques de la Chambre a révélé son lot de fait troublants sur le déroulement de cette séquence diplomatique. Cependant, afin de faire face au barrage de critiques des Républicains, qui refusent largement de coopérer avec l’enquête, et de toucher un public plus large, les élus américains ont décidé de réaliser des auditions publiques. Ils doivent ainsi interroger 12 témoins clés dans cette affaire – la plupart membres de l’administration ayant décidé de braver l’omerta mise en place par Donald Trump.

La Chambre a décidé de frapper fort lors du premier jour de ces auditions publiques, avec deux témoignages déterminants. Le premier est George Kent, haut responsable du département d’État spécialiste de l’Ukraine, auteur d’une note s’inquiétant de l’appel de Trump à Zelensky, transmise à un responsable du département d’État. Dans le document, qui a été enterré par la maison blanche, il y estime que « demander à un autre pays de lancer des poursuites à des fins politiques affaiblit notre défense de l’État de droit ». Le second est Bill Taylor, le chargé d’affaires américain à Kiev. « Je trouve ça dingue de suspendre l’aide sécuritaire en échange d’un coup de main pour une campagne politique », avait-il écrit l’ambassadeur auprès de l’UE, Gordon Sondland.

Cet homme d’affaires propulsé à ce poste après un don d’un million de dollars au comité chargé d’organiser les cérémonies de prestation de serment de Donald Trump, après avoir un temps gardé le silence, au motif qu’il ne se souvenait pas de cette séquence, a lui-aussi témoigné devant la Chambre. Il sera également entendu lors des auditions publiques. Il a d’ores et déjà « retrouvé la mémoire » en huit-clos. Le témoignage de l’ancienne ambassadrice des États-Unis à Kiev, Marie Yovanovitch, vendredi 15 novembre, est lui aussi très attendu. Cette dernière avait été rappelée au printemps à Washington pour s’être opposée à toute instrumentalisation politique de la diplomatie américaine. Elle avait même été menacée par Trump (« Il va lui arriver des choses ») peu après le rapatriement.

Enfin, un autre témoin clé sera Alexander Vindman, militaire présent lors de l’échange entre les deux Présidents. Ce dernier a estimé que « l’écart de pouvoir entre le président des Etats-Unis et le président de l’Ukraine est tel que, quand » Donald Trump « demande quelque chose », il s’agit d’« une exigence ». Pour « obtenir une réunion à la Maison Blanche », Volodymyr Zelensky devait « remplir cette condition préalable » ajoute-t-il. A la suite de son témoignage, Vindman, a été évincé du Conseil à la sécurité nationale où il opérait par les équipes de Donald Trump.

L’opinion publique en ligne de mire

Compte tenu de l’accumulation de fait défavorables au Président, il est désormais très probable que la Chambre entérine une procédure d’impeachment. L’affaire sera donc portée au le Sénat où une majorité des deux-tiers sera requise pour le déposer. Cette tournure est toutefois à l’heure actuelle hautement improbable, étant donné que le Grand Old Party y est majoritaire. « Aujourd’hui, trouver une telle majorité est quasi impossible et la probabilité que le Sénat vote l’impeachment de M. Trump est infime » note ainsi Frank O. Bowman III, professeur de droit à l’université du Missouri, spécialiste des questions de destitution. Ce dernier note toutefois que « la procédure permet d’exposer publiquement les méfaits du président, ce qui est positif pour la démocratie ».

Les témoignages des membres de l’administration sont en effet susceptibles de mobiliser l’opinion américaine contre Trump. Aujourd’hui, le soutien à l’enquête de la Chambre se situe à 53 % de l’opinion publique (44 % la désapprouvent). Mais seuls 49 % des américains déclarent que M. Trump devrait être destitué et quitter ses fonctions à la Maison Blanche (46 % s’y opposent). Cependant, la défense de Républicains semble affaiblie. « Les républicains ont commencé par dire qu’il n’avait rien fait. Puis il a dit qu’il l’avait fait, mais qu’il n’y avait pas eu de contreparties. Ensuite, ils ont dit qu’il y avait pu avoir des contreparties, mais que cela ne constituait pas un délit passible d’impeachment » soulignait à ce propos Bob Shrum, directeur du Center for the Political Future de l’Université de Californie du Sud.

Pour rappel, près de 80% des Américains avaient regardé au moins une partie des retransmissions des auditions visant le seul Président destitué de l’histoire américaine, Richard Nixon. Les historiens s’accordent aujourd’hui pour dire que ces témoignages ont convaincu l’opinion publique de soutenir l’impeachment, et c’est celle-ci qui a été responsable de l’abandon du dirigeant par parti. Et si le GOP est encore largement aux côtés de Trump, il en paie incontestablement le prix politique : le parti a perdu un siège dans le très conservateur Kentucky et en Virginie, un État traditionnellement républicain la semaine dernière. Aussi, certains de ses membres commencent à se poser une question : jusqu’à où le pari de soutenir Trump sera-t-il rentable politiquement ?

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