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Afghanistan : une guerre pour rien ?

Une série de documents publiés par le « Washington Post » jette une lumière particulièrement cruelle sur l’engagement américain en Afghanistan depuis 2001 – un conflit lancé en représailles des attentats du 11 Septembre, qui finira comme le plus long conflit armé dans l’histoire de l’armée américaine. Les 2000 pages de documents officiels derrière ces révélations ont été obtenus par le journal après des années de bataille judiciaire. Elles ont été déclassifiées, grâce au Freedom of Information Act, qui contraint les agences fédérales à envoyer des documents à quiconque le demande. Elles révèlent des mensonges systématiques de la part de l’administration pour cacher l’ampleur de ce fiasco.

« Chaque point de donnée statistique a été modifié pour présenter la meilleure image possible », y explique ainsi Bob Crowley, colonel de l’armée, ancien conseiller principal de contre-insurrection auprès du commandement militaire américain entre 2013 et 2014.

L’affaire rappelle les Pentagone papers, publiés par le même journal en 1971. Cette série de documents révélait la déroute totale de la guerre du Vietnam – et précipité sa fin. De même, la guerre d’Afghanistan devient vite « ingagnable » de l’aveu de l’Etat-major, malgré les 775 000 soldats américains déployés en 18 ans. Le bilan en dit long : 2300 soldats morts – des dizaines de milliers de victimes afghanes – et 133 milliards de dollars pour un résultat largement contreproductif. Les sommes faramineuses, déversées dans un pays sans infrastructure ni réel état pour les recevoir, ont surtout bénéficié à la corruption des chefs de guerre, des groupe criminels et autres cartels de l’opium afghan.

Une « guerre contre la vérité »

La Washington Post révèle ainsi que très rapidement, la chaine de commandement dans son ensemble avait, en interne, des doutes sur le bien-fondé de l’intervention et ses chances de succès. Le Secrétaire américain à la défense de l’ère Bush Jr, Donald Rumsfeld, avoue lui-même ne plus comprendre la stratégie mise en œuvre dès 2003 – « Je n’ai aucune visibilité sur qui sont les méchants » déplore-t-il dans une note. Et faute de vision les Etats-Unis ont couvert leur échec en le prolongeant et en l’aggravant. « Ce sont des mensonges qui nous ont fait rester en Afghanistan et nous y enliser », résume le journaliste Ross Douthat dans le New York Times

Les centaines d’entretiens réalisés entre 2014 et 2018 par Bureau de l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (Sigar) avec des hauts responsables américains des administrations Bush, Obama et Trump, des militaires et des diplomates, sont tous unanimes. « Si le peuple américain connaissait l’ampleur de ce dysfonctionnement » résume le Général Douglas Lute, décrit comme le « tsar de la guerre en Afghanistan de la Maison Blanche ». Une dérive bien résumée par un ancien responsable du département d’état : « Notre politique de création d’un gouvernement central fort était idiote car l’Afghanistan n’a pas d’antécédents de gouvernement central fort ».

Christopher Kolenda, un colonel déployé à plusieurs reprises en Afghanistan, conseiller auprès de l’Etat major, qualifiait même le gouvernement soutenu par les Etats-Unis de « kleptocratie auto-organisée ». Son analyse est sans appel : « La petite corruption, c’est comme le cancer de la peau ; il existe des moyens pour y faire face et vous irez probablement très bien. La corruption au sein des ministères, au niveau supérieur, c’est comme le cancer du côlon ; c’est pire, mais si vous l’attrapez à temps, vous vous en sortez. La kleptocratie, cependant, c’est comme le cancer du cerveau : c’est fatal ».

Qui est l’ennemi ?

Mais le parallèle avec les Pentagon Papers s’arrêtent là : la publication de ces documents n’a en effet pas suscité de réelle indignation dans l’opinion publique. Si choquantes soient-elles, ces révélations n’ont surpris personne. Ainsi, le 28 novembre dernier, en Afghanistan pour soutenir ses troupes lors de la fête de Thanksgiving, Donald Trump annonçait la couleur en décidant de la reprise des négociations avec les Talibans, trois mois après avoir mis un terme efforts diplomatiques dans le pays. « Les Américains ont appris à vivre avec des guerres sans fin » déplore Ross Douthat. Mais aussi avec le mensonge, comme la prouve la réaction du public à la procédure en destitution de Trump.

Le débat soulevé par cette publication trouve de tristes échos en France, où la récente mort de treize hommes dans un accident d’hélicoptères au cours d’une opération anti-djihadistes dans le Sahel a également soulevé des questions sur le sens et la faisabilité de leur mission. Emmanuel Macron a d’ailleurs invité les cinq présidents africains de la région sahélienne le 16 décembre à Pau pour un sommet de crise. Autre signes que les temps ont changé, et que nos troupes armées sont confrontées à un nouveau type de guerre dont les problématiques sont bien résumées par le Washington Post : « qui est l’ennemi, qui sont vraiment nos alliés, et comment saurons-nous quand nous avons gagné ? »

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