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Victoire de Boris Johnson : quelles conséquences pour le Brexit ?

Le parti conservateur s’est largement imposé aux législatives britanniques. Avec 364 sièges sur les 650 que compte la Chambre des communes, Boris Johnson a remporté la plus large victoire de la formation depuis 1987. Sa manœuvre politique a été couronnée d’un succès phénoménal – renforcé par le résultat catastrophique du Labour, qui a chuté à 201 sièges. Jeremy Corbyn, aura finalement payé le prix fort de son refus de tenir une position claire sur le Brexit. Le parti enregistre ainsi son pire résultat depuis 1935, et le Chef de l’opposition est le plus impopulaire jamais enregistré dans des sondages.

Plus dur encore, la gauche a perdu une large frange de son électorat historique : « Les conservateurs représentent désormais de nombreux ménages à faible revenu, des personnes qui travaillent dans les industries manufacturières et traditionnelles du centre et du nord de l’Angleterre », note ainsi le professeur Tony Travers, de la London School of Economics. Ce faisant, ils font tomber le « Mur Rouge » des anciens bassins industriels anglais. Le candidat du « Get Brexit Done » aura aussi bénéficié du retrait du Brexit Party, craignant de diviser le vote favorable à une sortie.

Le succès est d’autant plus fort que les LibDems, qui s’étaient engagés à abroger l’article 50 et mettre un terme à la procédure du Brexit sans autre forme d’appel, ont réalisé un score médiocre. Après des progrès dans les sondages, portés par leur positionnement fort, ces derniers ont connu une véritable hémorragie lors des deux semaines précédant le vote, et finissent avec 11 élus, soit un de moins qu’avant le vote. Le système du « winner takes it all » et l’absence de slogan simple pour parer les conservateurs ne leur aura pas permis de largement convaincre dans un pays à bout de nerfs.

Et pour cause : une victoire nette des Tories met un terme à plus de trois ans de divisions et de psychodrame autour de la sortie de l’UE. Le Brexit aura donc bien lieu le 31 janvier – à moins que 80 élus conservateurs s’y opposent, un dénouement improbable compte tenu du soutien populaire au candidat qui défendait un Brexit sans conditions. Johnson, qui n’avait pas réussi à faire adopter par le Parlement l’accord de divorce qu’il avait négocié avec Bruxelles, faute de majorité, le représentera vendredi, sans grand enjeu. La sortie de Royaume-Uni est actée.

Pour le Royaume-Uni

En Ecosse, la donne est toute autre : le parti indépendantiste (SNP) a raflé plus de 80 % des sièges, soit 48. Il n’en comptabilisait que 13 en 2017, mais a largement bénéficié de l’opposition du pays au Brexit (62%). Aussi, forte de cette progression ; la dirigeante du parti, Nicola Sturgeon, est l’autre grande gagnante du scrutin. Elle a d’ores et déjà demandé un second référendum sur l’indépendance du pays. Si le soutien à l’indépendance est resté assez statique depuis le premier, la tournure du Brexit devrait faire bouger les lignes.

 « Je pense que beaucoup d’Écossais ont été choqués vendredi matin. Les gens d’ici ne s’attendaient pas à une si grande majorité conservatrice », estimait ainsi Andrew Judge, directeur adjoint chargé de la politique et des relations internationales à l’Université de Glasgow. Le temps joue en effet en a faveur du SNP. L’intransigeance de Johnson est « le meilleur sergent recruteur que le SNP pouvait avoir pour gagner des soutiens à l’indépendance depuis Margaret Thatcher », analysait récemment l’historien Tom Devine, professeur honoraire de l’université d’Édimbourg.

En Irlande du Nord, pays qui s’était prononcé en défaveur du Brexit (56%), les unionistes (DUP) et républicains (Sinn Fein) peinent toujours à renouer le dialogue et former un gouvernement. Au lendemain du scrutin, aucun ne sort majoritaire, mais en outre ils reculent tous les deux de plus de cinq points de pourcentage – au profit du Parti de l’Alliance, non confessionnel et plus modéré. Ce dernier, opposé au Brexit et pro-européen, fait basculer ma majorité du côté des indépendantistes pour la première fois de l’histoire du pays.

Difficile de prévoir quel sera l’effet de ce vote sur la question de l’indépendance de l’Irlande du Nord. Le DUP, favorable au maintien dans le Royaume-Uni et allié des Tories, reste fort, mais il se sent trahi par Johnson. Ce dernier s’est servi du pays comme d’une variable d’ajustement lors des négociations avec l’UE, et la frontière entre le pays et le Royaume-Uni – qu’ils refusaient en bloc – existera bien. Aussi, Belfast risque d’être de facto davantage liée Bruxelles qu’au Royaume-Uni d’un point de vue commercial.

Ce dénouement incitera certainement le DUP à renouveler les tentatives d’accord avec le Sinn Fein, et ce d’autant que, faute d’accord sur l’exécutif nord-irlandais avant le 13 janvier prochain, de nouvelles élections seront organisées dans la province, avec comme risque un nouveau recul. Une telle alliance pourrait permettre aux unionistes de gagner du temps. A moyen terme, toutefois, les espoirs de réunion de l’Irlande seront infailliblement renforcés par les tendances démographiques du pays. Avec le risque d’un retour des violences accru qu’elles induisent malheureusement.

Pour l’Union européenne

« Nous attendions depuis plus d’un an de savoir ce que voulait la Grande-Bretagne. Maintenant, les choses sont claires », a déclaré Michel Barnier. Il n’y aura donc pas de « Brexit dur » en janvier. Mais en termes de clarté, c’est à peu près tout. C’est surtout le départ d’une nouvelle série de négociations pour parvenir à un accord commercial définissant leurs relations à l’issue d’une période de transition prévue jusqu’à fin 2020. C’est cet accord qui déterminera le niveau d’intégration dans le marché unique Or, sur ce point, Johnson s’est montré délibérément vague

Cette seconde phase pourrait s’avérer la plus délicate, et ce d’autant que le gouvernement a multiplié les « déclarations peu claires, irréalisables et trompeuses » comme le rappelait le professeur Anand Menon, directeur du groupe de réflexion sur le Brexit. « La conclusion d’un accord commercial fin 2020, c’est extrêmement ambitieux. Mais ce ne sera pas réalisé si nous n’essayons pas », a ainsi mis en garde le premier ministre irlandais, Leo Varadkar. Aussi, une sortie en tout juste un an est « complètement irréaliste » selon l’eurodéputé Nathalie Loiseau, qui n’a toujours pas sa langue dans sa poche.

Les états membres de l’UE ont réitéré leur soutien au « retrait ordonné » du Royaume-Uni. Mais le ton général s’est durci : Angela Merkel, qui était pourtant une des plus conciliantes avec Londres, a appelé à se méfier d’un « concurrent à notre porte ». « On ne veut pas que ce soit un concurrent déloyal » a enchainé Emmanuel Macron, retrouvant sa place de bad cop dans les négociations avec les britanniques. Même son de cloche auprès des institutions européennes : « Nous sommes prêts à défendre l’intérêt européen », a déclaré le président du Conseil européen, Charles Michel.

Aussi, malgré un résultat électoral incontestable lui offre un mandat puissant pour négocier, Johnson pourrait être rattrapé par ses promesses impossibles une fois passé le soulagement du premier vote. En tout état de cause, un accord final pour la fin décembre 2020 semble un challenge des plus délicats, et s’il compte s’y tenir, le temps de la fête sera court pour le Premier ministre britannique.

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