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Brexit : une entreprise coûteuse

Big Ben doit-elle sonner pour célébrer la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le 31 janvier prochain à minuit ? Si la question parait farfelue, elle est le dernier point de discorde qui divise les Britanniques. La polémique est devenue sérieuse lorsque le Parlement a voté contre ce projet de célébration du divorce, arguant du cout exorbitant de la demande – chaque « bong » de la cloche de 13,7 tonnes reviendrait à environ 60 000 euros, pour un total de 585 000. La célèbre horloge est en effet fermée depuis août 2017 pour une rénovation programmée sur quatre ans.

L’argument n’a toutefois pas convaincu les plus jingoïstes outre-manche, qui veulent faire de cette date une célébration sybolique de l’indépendance retrouvée du pays. « C’est un grand moment à fêter dans l’histoire de notre nation », a ainsi estimé Nigel Farage, chef de file de Brexit Party. Si le gouvernement de Boris Johnson a annoncé qu’il ne débloquerait pas de fonds publics pour une remise en service provisoire de Big Ben, il a suggéré la création d’une souscription publique. A ce jour quelques 150 000 livres de promesses de donateurs ont même été collectés.

47 années de perdues

Si la polémique peut faire sourire, elle atteste d’une propension plus large de certains partisans du Brexit à faire fi de raison, et à refuser de voire les coûts engendrés par le Brexit et ses retombées. D’après une étude de Bloomberg Economics, le Brexit a coûté aux Britanniques plus de 130 milliards de livres (126,6 milliards d’euros) depuis la lancement de la procédure en 2016. La facture devrait même atteindre les 200 milliards de livres (245,8 milliards d’euros) d’ici la fin de l’année – là où la cloche de Big Ben retentira peut-être, ajoutant crânement quelques 585 euros à la facture.

Au total, le divorce coutera donc presque autant que les 47 ans de participation au budget européen du pays. Un chiffre douloureux, quand on sait que cette même participation avait été un des arguments majeurs de la campagne du « leave ». Pour parvenir à ce résultat, l’équipe d’économistes engagée par Bloomberg a établi que le Royaume-Uni avait connu une croissance inférieure de 3 % à ce qu’elle aurait dû être si les Britanniques avaient refusé la sortie de l’UE. En 2021, le coût du Brexit pour le pays devrait donc dépasser la participation totale du pays au budget de l’UE depuis son adhésion en 1973.

« No deal », le retour

Le protectionnisme était au centre des raisons ayant poussé au Brexit – notamment face aux vagues de migration et aux travailleurs européens venant travailler au Royaume-Uni. Sur le plan économique, en revanche, force est de constater qu’il n’est plus question de protectionnisme. Les Brexiters, aujourd’hui largement aux manettes, ne parlent plus que de libre-échange – ce qui a vu l’émergence du concept de « Singapour sur Tamise ». Une politique qui aurait un coût sociale élevé, en particulier pour le Nord du pays, déjà mis à mal par des politiques libérales décomplexées des années 80.

« On peut s’inquiéter de la question de la dérégulation générale », mettait récemment en garde Catherine Mathieu, Présidente de l’Association d’instituts européens de conjoncture économique. Aujourd’hui Bruxelles n’est en effet ouverte qu’à un accord basé sur des règles du jeu équitables (« level playing field »). Mais la voie libérale choisie par les britanniques est en opposition totale avec cette approche – et la dynamique en train d’être adoptée par les états membres. Une contradiction qui semble pointer vers un sérieux risque d’échec des négociations quant à l’accord à venir.

A la demande de Michel Barnier, une première échéance a été le 1er juillet afin de décider s’il est nécessaire de prolonger ou non la période de négociation entre Londres et Bruxelles. Mais Boris Johnson a déjà rejeté une telle extension. S’il pourrait s’agir de bluff, et malgré le vote de l’accord de sortie, qui n’a fait que remettre les compteurs à zéro, la menace d’une « no deal », est bien réelle. Et avec elle, le risque d’un coût du Brexit encore plus exorbitant. Sans oublier Donald Trump en embuscade, et la subtilité en négociation qu’on lui connait pour obtenir l’ouverture des marchés de ses partenaires.

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