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Dans le monde, la contrebande de pétrole n’en finit pas

Nourrie par les conflits régionaux et la misère sociale, la contrebande de pétrole gagne du terrain dans plusieurs zones du globe. Très rentables, les hydrocarbures servent aussi de canaux de financement aux mouvements terroristes ou associés au crime organisé. Pour certains États, qui pâtissent d’une faiblesse capacitaire notable dans le contrôle de la chaîne d’approvisionnement, les pertes fiscales sont colossales. Une tendance qui se double bien souvent de trafics de cigarettes ou d’alcool, dont les conséquences financières pour les États sont, là aussi, très dommageables. Le volume global de pétrole détourné du contrôle des pouvoirs publics est estimé, chaque année, à environ 133 milliards de dollars. La faiblesse des recherches sur ce sujet montre que le phénomène demeure difficile à quantifier. Mais quelques grandes tendances se dessinent.

L’Afrique et le Moyen-Orient particulièrement touchés par la contrebande de pétrole

La contrebande de pétrole « nourrit des acteurs dangereux, comme l’État Islamique, les cartels de drogue mexicains, la mafia italienne, les groupes criminels d’Europe de l’Est, les milices libyennes ou encore les rebelles nigérians. C’est un problème de sécurité global » explique un groupe de chercheur de l’Université de Yale. Le rapport du think tank américain Atlantic Council, l’une des seules études fouillées sur le sujet, dressait en 2017 une liste des pays les plus touchés. Sur le continent américain, le Mexique est particulièrement concerné. En Asie, la Thaïlande, aussi, est visée par le rapport. En Afrique, ces problématiques impactent très fortement le Maroc, le Ghana ou encore le Nigéria. Même l’Union européenne, où la transparence sur les produits du pétrole est bien ancrée, n’est pas totalement immunisée contre cette tendance globale. Les espaces régionaux les plus instables sont, logiquement, très perméables au trafic de produits pétroliers.

Les autorités mexicaines ont ainsi annoncé, en décembre dernier, le démantèlement d’un gang spécialisé dans le vol et le recel de pétrole public, volé dans des pipelines. Au Mexique, un tiers de la production pétrolière nationale serait contrôlé par les cartels, un phénomène aggravé par la corruption endémique des dirigeants des compagnies pétrolières et d’une partie de la classe politique. Au Nigéria, « 400 000 barils de pétrole seraient volés chaque jour », selon un économiste béninois. Des volumes qui transitent très largement vers les pays voisins et constituent, là encore, un déficit fiscal notoire.

La vente de pétrole illicite a constitué, pour l’État Islamique, l’une des principales sources de revenus du mouvement terroriste, grâce à un contrôle de plusieurs champs pétrolifères en Irak et en Syrie. Le pétrole, illégalement exporté, cheminait ainsi par la Turquie, suscitant ainsi des suspicions contre le régime d’Ankara, accusé de complicité indirecte avec Daesh. Bien que les rentrées financières réelles soient difficilement chiffrables, le cabinet américain IHS estimait les gains à 2 millions d’euros par jour. Si ces ressources se sont taries avec la disparition globale de l’emprise territoriale de l’État Islamique, l’instabilité chronique de la région n’a pas entamé le trafic illicite. Actuellement, la Libye subit les conséquences douloureuses de la contrebande de pétrole. La ville de Sabratha, à l’extrémité de la côte ouest du pays, passée successivement sous la domination de l’État islamique ou de groupes armés rebelles, est désormais un hub central du pétrole de contrebande avec, le plus souvent, la complicité manifeste des autorités policières et administratives. Plus étonnant, les mafias italiennes en profitent et les carburants libyens visés ont ainsi été identifiés à Venise ou encore Civitavecchia, port italien desservant Corse et Sardaigne. « À Sabratha, tout le monde m’a dit que les milices libyennes ont passé des accords avec les familles mafieuses siciliennes, qui ont la main mise sur les carburants de contrebande passant au large des côtes italiennes », explique ainsi un habitant de Sabratha au journal Middle East Eye.

Le défi du contrôle de la chaîne d’approvisionnement

Le marquage des produits pétroliers reste le principal outil destiné à enrayer la contrebande de pétrole. Le recours à des partenaires privés est bien souvent privilégié pour accompagner la sécurisation des recettes liées aux hydrocarbures et pallier les déficits de contrôle étatique des chaînes d’approvisionnement. Une coopération plus affirmée entre les secteurs publics et privés est d’ailleurs plébiscitée par le rapport de l’Atlantic Council.  Une hausse des rentrées financières non négligeable pour certains États, notamment ceux dont le PIB demeure largement conditionné par les exportations de produits pétroliers.

Le gouvernement philippin, qui s’est attaché les services de la société suisse SICPA, l’un des leaders du secteur, a ainsi annoncé le 13 janvier dernier avoir d’ores et déjà assuré le marquage fiscal de plus d’1,1 milliard de litres de pétrole. Les gains escomptés sont, pour le gouvernement philippin, de 177 millions d’euros en 2020. En 2016, les pertes financières liées à la contrebande de pétrole étaient comprises entre 46 millions et 66,7 millions d’euros aux Philippines.

Renforcer la coopération infrarégionale

Le rapport de l’Atlantic Council avance aussi d’autres solutions pour enrayer la contrebande de pétrole. Une meilleure collaboration interétatique semble nécessaire, notamment dans le cadre de coopérations translittorales destinées à sécuriser le trafic maritime, particulièrement utilisé par les contrebandiers. De même, les services de renseignement et de sécurité sont appelés à agir ensemble, au niveau régional. La défaillance de contrôle des zones frontalières reste en effet une faille sécuritaire très propice aux trafics de contrebande.

Les différentiels de prix entre certains pays frontaliers encouragent aussi le trafic de contrebande, l’objectif des trafiquants étant de procurer du pétrole, souvent de moindre qualité, moins cher que les prix du marché. Des blocs de coopération régionaux peuvent ainsi être mis en place pour pratiquer une politique commune des prix. « L’Union européenne est un excellent exemple de la façon dont les disparités de prix du carburant au sein des États membres tend à encourager le commerce illégal » explique le groupe d’universitaire de Yale. Ainsi, l’Irlande perd jusqu’à 200 millions de dollars chaque année du fait de la fraude entre le pays et l’Europe de l’Est. 20 % du carburant vendu dans les stations-service grecques serait issu de la contrebande. Le think tank préconise aussi un vaste mouvement de réforme dans les pays les plus touchés, avec notamment, une rotation des postes de direction au sein des services de sécurité, destinée à limiter les complicités éventuelles au sein des administrations.

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