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Johnson et le « conservatisme d’une seule nation »

« Mes chances de devenir Premier ministre ne sont que légèrement meilleures que d’être décapité par un frisbee, aveuglé par un bouchon de champagne, enfermé dans un réfrigérateur ou réincarné en olive » estimait Boris Johnson sur un plateau de télévision français en 2015. Il avait également indiqué « avoir autant de chances de devenir Premier ministre que de trouver Elvis sur Mars » ou « qu’il avait plus de chances d’être réincarné en hobbit ».

Le 31 janvier 2020, Alexander Boris de Pfeffel Johnson, encore bien humain, la tête plus que jamais sur les épaules, célèbrera la sortie symbolique du Royaume-Uni de l’Union européenne – et le début d’une âpre négociation pour statuer sur son lien futur avec les 27. Peu, pourtant, croyaient en ses chances. En premier lieu son ami et rival de jeunesse David Cameron, qui l’avait toujours vu comme un petit frère un peu brouillon. L’ovni politique « Bojo », mi-Kennedy mi-Kardashian, sera finalement parvenu à s’installer au 10, Downing Street, mettant un terme à la carrière du premier.

Porté par son engagement à honorer à tout prix le résultat du référendum sur le Brexit, il concrétise ainsi un rêve d’adolescent. Ces dernières années, avec l’exception de sa course infructueuse contre Theresa May, défaite rétrospectivement bienvenue, en auront fait une véritable machine à gagner : Maire de Londres, ville de gauche, figure de proue du referendum de 2016, Ministre des Affaires étrangères, repreneur du parti conservateur à la dérive puis Premier ministre très largement élu.

Le conservatisme d’une seule nation ?

Face à lui, une opposition aux abois : le Labour, mis à mal par sa défaite historique et les divisions profondes suscités par les controverses qui ont touché Jeremy Corbyn et les Lib-Dems, qui n’ont pas su mobiliser autour de son projet de maintien au sein de l’UE. Aussi, Johnson semble avoir les coudées franches pour 5, voire 10 ans. Il est toutefois dans une position de force paradoxale, bénéficiant du vote de tous ceux qui voulaient en finir avec un Brexit omniprésent. Mais derrière ce soutien – comme derrière le vote pro-Brexit, il existe plusieurs projets contradictoires.

Aussi, il semble contraint, tôt ou tard, de faire un choix et trahir une partie de son électorat. Cet enfant idéologique de Thatcher est pressenti comme étant le héraut du « Global Britain », une politique d’ouverture au reste du monde – la perspective est renforcée par les prémices timides de négociations avec le Japon, les Etats-Unis, l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande mais aussi le refus du Premier ministre de se rendre à Davos, pour favoriser son sommet avec les dirigeants africains à Londres.

En faisant appel au patriotisme des ouvriers et en cherchant à répondre à leurs demandes politiques, Johnson est un héritier de Benjamin Disraeli, inventeur du « One nation-conservatism » (le conservatisme d’une seule nation). Il est parvenu à abattre le « mur rouge » qui, du pays de Galles aux anciennes cités minières du Nord-Est du pays. Mais cet électorat historiquement travailliste, qui a en partie apporté son soutien au candidat du Brexit, souffrirait beaucoup d’un retour en grandes pompes du libéralisme, comme il en a souffert durant les années 80, et pourrait lâcher le dirigeant britannique.

Les paradoxes d’une victoire

S’il choisit, à contrario, de ne pas laisser court au mondialisme dérèglementé, il existe une alternative pour Johnson : BreNO (pour « Brexit in Mame Only » – un Brexit qui n’en a que le nom). Ce positionnement a pour avantage de prendre en considération les limites de facto posées par le droit européen, mais il constituerait une trahison envers les libéraux durs du parti, qui l’ont porté à sa tête pour qu’il réalise le Brexit qu’ils appelaient de leurs veux depuis près de 40 ans. Il est toutefois moins probable, et ce d’autant que ceux qui incarnaient cette ligne, comme Amber Rudd ou Philip Hammond, ont été écartés du parti conservateur.

La résistance à la politique de Johnson n’a toutefois pas attendu qu’il déçoive une partie de ses électeurs : une fronde est apparue la semaine dernière à la Chambre des Lords – moins propice aux jeux de partis de par sa composition plus variée. Ces derniers, qui votaient sur le processus d’adoption de son accord de Brexit, ont ainsi infligé deux défaites au gouvernement : un amendement sur le droit au regroupement familial pour les mineurs réfugiés non accompagnés après le Brexit et un autre pour s’assurer que l’Ecosse et le Pays de Galles aient leur mot à dire dans les négociations avec l’UE.

Cette fronde aura cependant un effet limité : la loi britannique impose que le délai maximal d’un an pour le rejet d’une proposition de loi portée par la chambre des communes par les Lords – qui ne sont pas élus par le peuple. En outre, il est fort à parier que Johnson parvienne à jouer la carte du vote populaire contre des élites déconnectées, comme il l’avait fait en opposant le referendum aux élus des Communes qui avaient tenté de le bloquer. Mais leurs amendements montrent les premiers signes d’achoppement inévitables lorsqu’on dirige un pays toujours aussi profondément divisé.

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