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La Ligue déraille en Emilie-Romagne

La Ligue, parti d’extrême droite italien arrivé en tête des dernières élections européennes, a subi un revers lors de l’élection régionale en Emilie-Romagne, un scrutin auquel le parti avait tenté de donner une valeur de test national. Malgré ce revers, la gauche italienne n’est pas sortie d’affaire.

La Ligue de Matteo Salvini, leader souverainiste italien, a connu une sévère déconvenue dans la région d’Emilie-Romagne où se tenait un scrutin régional. Le président sortant de la région Stefano Bonaccini (Parti démocrate, centre gauche) est arrivé nettement en tête, avec 51,4 % des voix. Son adversaire Lucia Borgonzoni n’a comptabilisé qu’environs de 43 % des voix. Cette défaite de la Ligue est d’autant plus douloureuse du fait de la très forte participation – 67,67 %, contre 37 % lors des précédentes régionales de 2014. Elle met, en tout cas, un coup d’arrêt temporaire à son ascension, lancée par son haut score aux européennes.

 « Quand le peuple vote, il a toujours raison » a déclaré Salvini à l’annonce du résultat. Une réaction de beau joueur qui cacher aussi un message subliminal : son parti, vainqueur des dernières élections européennes et de huit des neuf derniers scrutins régionaux, devrait aujourd’hui exercer le pouvoir plutôt que l’actuel gouvernement de Giuseppe Conte. Face à lui, Stefano Bonaccini, jubilatoire, a fustigé la ligne nationaliste-xénophobe de la Ligue : « Ceux qui disaient qu’il faut libérer l’Emilie-Romagne devraient savoir qu’ici on sait qu’heureusement (…) cette libération a eu lieu, il y a soixante-quinze ans. »

Le matador contraint à l’opposition

Le « matador », homme fort du précédent gouvernement, avait pourtant mouillé la chemise. Salvini avait en effet effectué pas moins de 150 meetings (plus de sept par jour) durant les trois dernières semaines, principalement dans de petites agglomérations rurales, plus sensibles que les grandes villes à la campagne sécuritaire de la droite et de l’extrême droite. Mais cette fois, sa stratégie de personnalisation à outrance de l’exercice politique pourrait bien se retourner contre lui. Écarté du pouvoir en aout dernier après un mauvais calcul politique, il comptait sur ce vote pour se remettre en selle et se réaffirmer comme la principale figure politique du pays. Chou blanc.

Pour ne rien arranger, Salvini avait insisté ad nauseam sur l’aspect référendaire de ce vote. Malgré les protestations de la nouvelle majorité formée par le Parti démocrate (PD, gauche) et les 5 Étoiles (M5S, anti-establishment) qui ont refusé par principe que ce scrutin ait incidence sur le gouvernement, le chef de la Ligue avait annoncé qu’en cas de victoire de son camp il exigerait la démission de l’exécutif et la convocation de législatives anticipées. « Pour la première fois en soixante-dix ans, en Emilie-Romagne, il y a eu une compétition », a réagi Matteo Salvini. « Après 70 ans, il y a eu un vrai match en Émilie-Romagne. Autrefois, le match était fini avant d’avoir commencé »

Cette région, cœur historique de l’Italie communiste et industrielle était un baromètre pour les tendances qui ont traversé l’Italie ces dernières années. La région n’a en effet jamais été gouvernée autrement qu’à gauche depuis 1945. Elle regroupait donc exactement le type d’électorat qui, poussé par la frustration sociale et l’austérité, a basculé vers des partis populistes – la Ligue en tête. « L’Émilie-Romagne est un bastion de la gauche depuis 70 ans, d’où son surnom de “Stalingrad de l’Italie” », rappelle Jacques de Saint Victor, spécialiste de l’Italie. « Si la région avait basculé à droite cela aurait été un séisme. Matteo Salvini a perdu son pari, c’est une leçon indéniable. »

Flou total sur l’avenir politique italien

En jouant trop sur la corde de la colère nationaliste, Salvini n’a pas compris l’électorat de la région. Avec sa croissance robuste, un chômage ramené à moins de 5 %, le message de « tout va mal » n’aura pas trouvé d’écho. En outre, le leader de la Ligue avait commis des faux pas dans sa communication tous azimuts, comme sa sortie, après avoir été débarqué du gouvernement, où il expliquait vouloir les « pleins pouvoirs ». Une sortie qui aura visiblement marqué les esprits. « Dans le contexte italien, seul un dictateur peut dire cela. En avouant son objectif, il a déclenché un réflexe antifasciste », analyse Christophe Bouillaud, professeur à Sciences-Po Grenoble.

Mais le désaveu du populisme transalpin va plus loin. L’autre formation issue de « dégagisme », le M5S a vécu une véritable déculottée là même où il avait connu ses premiers succès. Avec à peine 3,5 % des suffrage – contre 28 % lors des élections générales de 2018 – le mouvement a pratiquement disparu. Le jeune parti a été desservi par le mouvement des « sardines », qui tente de remettre au goût du jour les fondamentaux de la gauche traditionnelle – égalité, partage des richesses, abrogation des lois sécuritaires et anti-immigration – et par le « vote utile ». Mais paradoxalement, ce scrutin ne consacre qu’une victoire à court terme pour le gouvernement, dont l’un des deux piliers s’érode à une vitesse alarmante.

En outre, la tendance relevée en Emilie-Romagne n’est probablement pas représentative de l’ensemble du pays. « L’Émilie-Romagne reste un scrutin régional », précise Paolo Modugno, professeur à Sciences-Po. « Au niveau national, la droite reste majoritaire en Italie ». Et pour cause : en Calabre, où le niveau de vie est deux fois moins élevé, où la criminalité est endémique et où le chômage est de 25%, Salvini a triomphé. « Espérons qu’à l’avenir l’Italie ressemblera à l’Emilie-Romagne », a réagi Stefano Bonaccini à l’annonce de sa victoire. Un vœu qui restera pieux si la gauche italienne ne parvient pas à s’adapter au changement effréné du paysage politique national.

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