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L’Irak poussée dans les bras de l’Iran

Les tensions entre Washington et Téhéran ont atteint un nouveau pic le 3 janvier dernier, avec l’élimination par un drone d’un important général iranien, Qassem Soleimani, en déplacement à Bagdad. Cette opération a mené à dix jours de de tensions maximales, faisant craindre à certains observateurs une escalade de nature à plonger le monde dans une troisième guerre mondiale. Des forces iraniennes, les nerfs à vif, ont même été jusqu’à abattre par accident un avion de la compagnie Ukraine International Airlines après son décollage de Téhéran.

En face, Donald Trump vilipendait un régime qui « tue ses manifestants », alors que son administration tentait de calmer le jeu en ouvrant la voie à un dialogue avec l’Iran « sans condition préalable ». Si la situation n’a pas dérapé comme certains le prédisaient, Téhéran n’a pas abandonné sa rhétorique vengeresse, répétant ad nauseam que le chef des forces spéciales des Gardiens de la Révolution est « plus dangereux mort que vivant ». Et si les iraniens avaient raison ? En tout cas, les Etats-Unis semblent condamnés à payer au prix fort leur absence de stratégie régionale, en perdant un nouvel allié régional.

Une opération contreproductive

La frappe qui a décapité les forces spéciales iraniennes était, sans nul doute une humiliation pour le régime. Pourtant, à moyen et long terme l’assassinat de Souleimani semble en tout point contreproductif pour Washington – il a même mis un terme aux manifestations contre le régime des ayatollahs qui avaient secoué le pays avant la passe d’arme entre les deux ennemis. L’opération a même resserré les rangs au sein de la population, enterrant l’importante vague de contestation, sauvagement réprimée par la République islamique – un acquis considérable pour le régime. Ce soutien a encore été renforcée par l’inconsciente menace proférée par Donald Trump de bombarder des sites historiques du pays – oubliant que la fierté des iraniens pour leur histoire.

Mais la principale répercussion est d’avoir fait perdre aux américains en Irak, où l’Iran a méthodiquement enraciné ses réseaux d’influence depuis l’invasion de 2003. Le 5 janvier, le parlement irakien a ainsi voté à l’unanimité en faveur de l’expulsion des forces américaines du pays. De fait, les Etats-Unis ne contrôlent plus en Irak que des bases isolées. Deux sites militaires américains ont ainsi été la cible d’une série de tirs de missiles, sans provoquée la moindre riposte. La retenue des Washington, peu caractéristique, montre à quel point ses troupes, largement marginalisées, sont vulnérable à des attaques ciblées par des milices (il faudrait en réalité des dizaines de milliers d’hommes pour sécuriser la zone, alors même que Trump tente de se désengager du Proche-Orient).

Le risque d’un enflammement régional

Plus largement, cette « guerre de douze jours » est un facteur de déstabilisation supplémentaire pour la région. L’Iran a ainsi fait le choix de la patience stratégique, incapable de se confronter directement aux Etats-Unis. Il a ainsi multiplié les appels à la vengeance, afin de mobiliser les milices affiliées au régime au Liban, en Syrie et en Irak (pays poussé dans les bras l’Iran par les mauvais calculs de Bush et Trump). Il est probable que ces derniers ciblent divers intérêts américains au Proche-Orient afin d’éviter des représailles pour Téhéran, où une escalade qui mènerait à un conflit direct. Aussi les soutiens de Washington risquent donc d’essuyer les plâtres à la place de leur encombrant allié.

Si Israël est sans doute à l’abri, du fait de sa capacité de riposte considérable, l’Arabie saoudite est, elle, bien plus vulnérable une attaque iranienne. Elle pourrait prendre une variété de formes : bombardements des sites de de dessalement de l’eau du Royaume, une nouvelle attaque sur un site pétrolier, un blocus dans le détroit d’Ormuz afin de pénaliser son économie, une cyberattaque… Aussi, le pays et ses alliés régionaux ont jusqu’à maintenant fait profil bas, conscient du soutien américain à géométrie variable sous l’administration Trump, qui mise sur un désengagement pour ménager sa base en période électorale. S’il est délicat de prédire les conséquences de cet épisode, l’assassinat inconsidéré de Souleimani semble en tout cas avoir rapproché une région déjà volatile encore un peu plus du gouffre.

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