Site icon La Revue Internationale

Nouveau gouvernement et gauche nouvelle en Espagne

Le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a-t-il enfin touché la terre ferme, après un an et demi de dérive ? Reconduit de justesse, à deux voix près (167 oui, 165 non, 18 abstentions) il a formé la semaine dernière un nouveau gouvernement de coalition avec la gauche radicale de Podemos. Une alliance qui enterre bel et bien le bipartisme historique, qui opposait le Parti populaire (PP, droite) et Parti socialiste (PSOE), et ouvre la voie à une alliance des gauches d’un type nouveau qui s’est fait qualifier par Santiago Abascal, chef de file de la formation d’extrême droite Vox et mauvais perdant, de « putschisme institutionnel ».

« Il n’existe pas d’alternative »

Le nouveau gouvernement de coalition espagnol se réunissait pour la première fois hier, mettant, en quelque sorte, un terme à près de deux ans d’instabilité politique dans le pays. Mais avec ses 155 députés sur les 350 que compte la chambre, la nouvelle coalition devra négocier ferme avec une multitude de partis locaux et avec les indépendantistes catalans pour mener sa barque dans un paysage politique encore largement fracturé. « Cette législature doit être celle du dialogue social, territorial et générationnel », a commenté Pedro Sánchez – un euphémisme. Ce dernier assure que le nouveau gouvernement aura « plusieurs voix mais une seule parole ». Qui vivra verra.

« La grande différence entre la minorité de Mariano Rajoy et celle de Pedro Sanchez, c’est qu’il n’existe pas d’alternative », souligne José Luis Ayllon, analyste de l’agence de consulting politique LLorente & Cuenca. Impossible, en effet de réconcilier les libéraux de Ciudadanos, les conservateurs du Parti populaire et l’extrême droite de Vox – ces « trois droites », qui ne comptabilisent pas assez de voix pour faire tomber l’exécutif. En outre, le gouvernement bénéficie d’une absence totale d’échéances électorale dans les régions où le PSOE.  « [Cela] lui donne une certaine marge de manœuvre », note Astrid Barrio, professeure de sciences politiques à l’université de Valence.

Un nouveau visage pour la gauche espagnole

Pour Sanchez, les négociations les plus âpres auront donc été celles avec son allié de fortune. Afin de ne pas avoir à répéter l’exercice trop fréquemment, il a pris soin de multiplier les ministères afin de mieux en circonscrire leur champ d’action. Au prix d’une multiplication des postes qui rappelle les grandes heures de l’armée mexicaine : quatre vice-présidents et dix-huit ministres. Il a également pu imposer la chantre de l’orthodoxie budgétaire, Nadia Calviño, à l’économie, donnant ains des gages à Bruxelles, toujours un peu inquiète en matière de dépenses publiques nationales. En outre, Podemos a choisi de ne pas placer ses membres les plus radicaux au gouvernement.

Un choix courageux pour le jeune parti, qui existe du fait de sa singularisation, et dont les électeurs se sont jusqu’à présent montrés frileux au compromis politique. « Podemos joue un risque en participant à ce gouvernement car ils n’ont jamais exercé de responsabilités à ce niveau. Ils n’ont aucune expérience, ni personne de confiance au sein de l’administration, contrairement aux socialistes qui en connaissent très bien les rouages », juge Cristina Monge, politologue et professeur associé à l’université de Saragosse. La formation pourrait en effet subir le même sort que les cinq étoiles en Italie, qui ont manqué de justesse de se faire phagocyter par la Lega du vieux briscard Salvini.

L’inévitable question catalane

Pour se voir reconduire, Sanchez a été contraint à une autre manouvre : faire un pacte avec une formation qui continue de revendiquer la sécession de la Catalogne. Il doit, en effet sa victoire à l’abstention des 13 députés de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Aussi, il devra lâcher du leste après des prises de position fermes à l’égard des indépendantistes de la région. Une perspective qui a fait dire à Pablo Casado, chef du Parti populaire (PP, conservateur), que le premier ministre socialiste serait l’« homme de paille du nationalisme » et « le cheval de Troie des forces qui veulent détruite l’Espagne ».

Sanchez a pour sa part appelée à mettre un terme « la dérive judiciaire » qui a causé « tant de douleurs et de fractures dans une bonne partie de la société catalane et espagnole ». Il se désolidarise ainsi des poursuites pour sédition dont font l’objet un certain nombre élus indépendantistes catalans. Il envoie ce faisant un signal fort : la question de l’ancrage de la Catalogne en Espagne ne sera pas résolue par la justice. Une annonce qui a fait sortir de leurs gonds le PP et Vox, et qui donne une idée de l’ambiance à attendre lors de ce nouveau mandat, et rappelle douloureusement la question existentielle posée par la crise catalane à l’Espagne est loin d’être réglée.

Quitter la version mobile