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Taïwan vote massivement contre une réunification avec le Chine

Les taïwanais se sont rendus aux urnes samedi pour élire leur nouveau dirigeant. Avec plus de 57,1% des suffrages, la Présidente sortante a triomphalement été réélue pour un second mandat de quatre ans. Les taïwanais ont ainsi porté aux nues la présidente Tsaï Ing-Wen avec une énorme avance – et 8 millions de voix au total. Celle-ci, issue du DPP, le Parti démocrate progressiste et « indépendantiste », bénéficie ainsi du plus gros score depuis le lancement de la démocratie et l’instauration du suffrage universel en 1996.

En réalité, l’île est déjà indépendante et souveraine en droit internationale sous le nom de République de Chine, bien que très peu reconnue du fait des pressions diplomatiques et économiques de Pékin à l’encontre des pays qui refusent le principe d’ « une seule Chine ». Une réalité renforcée par les législatives qui se tenaient également ce samedi. Le Parti démocratique progressiste (PDP) y a obtenu la majorité avec 61 sièges (sur 113), contre 38 pour le Guomindang, favorable à un rapprochement avec la Chine continentale.

Pour rappel, Taïwan et Pékin se sont scindés en deux après la révolution populaire chinoise, qui a mené à la victoire de Mao Zedong en 1949, et à la défaite de son rival nationaliste, Tchang Kai-shek. Si l’île a commencé comme un régime autoritaire, elle a depuis connu une authentique démocratisation. Depuis, le Parti communiste chinois (PCC) refuse de reconnaitre son statut d’état indépendant – et une partie des habitants de l’île sont en faveur d’une réunification avec la République populaire de Chine. Ce scrutin a toutefois marqué une perte de terrain sévère de l’idée d’une réunification.

Le choix d’un autre avenir

Le vote de samedi a été marqué par un vote massif des jeunes, qui d’ordinaire tendent à largement bouder les scrutins. Une réalité qui marque une rupture générationnelle qui a largement desservi les partisans d’un rapprochement avec Pékin. « A Taïwan, la question générationnelle est centrale. Le Guomindang [qui défend des liens privilégiés avec la Chine] est aujourd’hui un parti de vieux, des gens beaucoup plus âgés qu’au DPP » note ainsi le sinologue Stéphane Corcuff, directeur de l’antenne taiwanaise du Centre d’Etudes françaises sur la Chine contemporaine (CFC).

Le Guomindang a très largement fait campagne sur le terrain économique, en assurant que Taïwan ne pourrait connaitre la prospérité qu’en se rapprochant encore de la Chine. De fait, Pékin a œuvré pour établir une forme de dépendance économique progressive de sa « province » afin d’en faciliter l’assimilation. Mais cette vision n’a guère convaincu – en particulier des jeunes générations. « C’est complètement simpliste puisque la présidente actuelle a lancé avec un relatif succès, une politique de développement de l’économie vers les pays d’Asie du Sud-Est » confirme Stéphane Corcuff.

De fait, le projet de ce parti se limite aux manœuvres pour un rapprochement avec la Chine. Il a donc fini dans le vent. Et ce en dépit d’une campagne de désinformation massive mise en place par Pékin sur les réseaux sociaux afin de faire pencher la balance en faveur du Guomindang. Ces ingérences sont « un facteur structurant et extrêmement dangereux », d’après Stéphane Corcuff. Elles ont toutefois été contrecarrées grâce à un nouveau système centralisé sous contrôle du gouvernement pour contrer les fake-news et exposer les financements de Pékin dans les médias ainsi qu’une loi anti infiltration qui écarte les candidats financés par des puissances étrangères.

Cette réponse semble avoir porté ses fruits, malgré des accusations d’un retour à l’autoritarisme visant le DPP – une attaque ironique quand on sait qu’il s’agit du premier parti d’opposition historique de l’île, né justement pour combattre la dictature. Taïpei semble en tout cas avoir trouvé une réponse efficace à cet enjeu majeur – la Commission européenne n’avait ainsi pas hésité à dénoncer le risque croissant d’intox dans nos propres campagnes électorales par le « rival systémique » qu’est le PCC.

Les limites de l’illibéralisme chinois

La nouvelle est d’ailleurs amère pour le Parti, qui a fait de la réunification avec Taïwan un des marqueurs de sa réussite. En janvier dernier, Xi Jinping avait prononcé un discours très ferme, menaçant de reprendre l’île par la force. Il proposait alors aux Taiwanais de leur octroyer le principe « un pays, deux systèmes » en vigueur à Hong Kong. Un choix peu avisé au vu de l’importante protestation qui a touché la province ces derniers mois. Avec des répercussions sans appel : à Taiwan, aujourd’hui, seuls 5% des électeurs se disent favorables à la réunification avec la Chine.

« Depuis la prise du pouvoir par le Parti communiste en 1949, la Chine défend l’idée d’une double identité communiste et chinoise, qui serait une alternative au monde occidental et capitaliste en matière de gouvernance », analyse Jean-Yves Heurtebise, maître de conférences à l’université catholique FuJen (Taïwan). « Le problème, dans ce discours, c’est que Taïwan en est le contre-exemple vivant, et les élections présidentielles du 11 janvier l’ont encore démontré : un pays peut être à la fois prospère et libre, pleinement démocratique et de culture chinoise. C’est ce contre-exemple que la Chine populaire entend marginaliser, voire éliminer. »

Plus largement, la Chine perd de sa superbe, comme l’ont montré ce vote et la victoire massive des candidats démocrates aux élections locales à Hong Kong. L’autoritarisme intransigeant de Xi Jinping est de plus en plus décrié – jusqu’à l’intérieur même de son parti, en attestent les fuites sur les camps d’internement de Ouigours, clairement orchestrées pour affaiblir son leadership. Pourtant, un changement de politique du PCC est, à l’heure actuelle hautement improbable. « Dans l’administration Xi Jinping, si un resserrement conduit à un échec, la réponse est de resserrer davantage – et de considérer que cela n’a pas été fait suffisamment tôt » souligne Jude Blanchette, du Center for Strategic and International Studies.

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