Site icon La Revue Internationale

Brexit : le plus dur est à venir

Le Brexit symbolique a eu lieu le 31 octobre dernier, mais le Brexit économique, concret, aura lieu avec l’affranchissement du Royaume-Uni des règles européennes. Ce divorce aura, en principe, lieu le 31 décembre 2020 – une date à laquelle Boris Johnson, Premier ministre britannique, est très attaché, puisque jusqu’à cette étape, les règles européennes s’appliquent encore au Royaume-Uni. Pour l’heure, l’Union européenne et le Royaume-Uni étudient leurs arguments en vue des négociations qui établiront leur partenariat à compter de cette date.

L’affaire est inédite. La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prévenu qu’il faudrait créer « quelque chose que nous n’avons jamais offert à personne d’autre, un nouveau modèle commercial, une ambition singulière en termes d’accès au marché unique ». Et qui dit inédit dit risque. Aussi la cheffe de l’exécutif européen estime que l’entreprise « demandera des garanties correspondantes en matière de compétition, de standards sociaux, environnementaux et pour les consommateurs ». « En un mot, il s’agit de règles du jeu équitables », conclut-elle.

Des exigences reprises par Michel Barnier, et qui elles-mêmes font écho au refus de Bruxelles, le 10 février dernier, d’accorder à la City un traitement de faveur pour accéder un marché européen. Une mauvaise nouvelle pour le centre financier britannique, qui centralise 500 00 emplois directs et représente environ 12% du PIB britannique.

Apprenant la nouvelle, certains Brexiters ont crié au scandale, dénonçant un sabotage volontaire par une Europe prédatrice et une violation directe du vote démocratique des britanniques de sortie de l’UE. Mais tout n’est pas si simple : cette semaine le Parlement européen a adopté par 579 voix contre 24 qui établit que « les normes de l’UE dans ces domaines doivent être préservées afin d’éviter tout nivellement par le bas, en vue d’une harmonisation dynamique ». Autrement dit : les parlementaires démocratiquement élus ont estimé que Londres devait s’aligner pour se passer de droits de douane en Europe. Ce faisant ils ont annoncé la couleur : Bruxelles fera preuve de fermeté dans les négociations à venir.

Des égaux souverains ?

En face, le mot d’ordre est lui aussi la fermeté – bien illustrée par le refus de repousser la date du divorce, qui forces les deux parties à effectuer des négociations marathon en format sprint. Cela s’explique par une volonté de mettre un terme aux spéculations, les incertitudes étant un mauvais signal pour les marchés. Londres compte en effet sur la Livre Sterling pour rebondir après le Brexit – mais la monnaie pourra lui servir d’atout qui si elle reste stable et forte. Cette fermeté est également illustrée par le récent remaniement du gouvernement, remplaçant les membres les plus modérés par des eurosceptiques notoires. Les tories sont désormais en ordre de bataille.

Le haka n’a d’ailleurs pas tardé : « Le peuple britannique a voté pour l’indépendance et le contrôle de nos règles et de nos lois, nous n’accepterons donc en aucune façon l’alignement sur les règles de l’UE », a réagi le porte-parole du premier ministre britannique Boris Johnson. « Nous voulons une relation avec l’UE qui soit fondée sur une coopération amicale entre égaux souverains et centrée sur le libre-échange. Nous ne demandons pas un accord spécial sur mesure ou unique, mais un accord comme celui que l’UE a déjà conclu avec d’autres pays amis comme le Canada ». Une sortie qui marque le retour de cette idée folle du deal « à la Canadienne » qui nie les liens géographique, économique, sociétal et militaire uniques entre l’île et le continent.

« Il est essentiel pour nous de pouvoir établir des lois qui nous conviennent, de revendiquer le droit que possède tout autre pays non membre de l’UE dans le monde », a rempilé le nouveau négociateur britannique, David Frost, lors d’une intervention lundi soir à l’Université libre de Bruxelles. « Il ne s’agit pas d’une simple position de négociation qui pourrait changer sous la pression. C’est l’objectif même de l’ensemble du projet ». Et comme si la messe n’était pas dite : « Penser que nous pourrions accepter une supervision de l’UE sur des questions dites d’égalité des conditions de concurrence (“level playing field”, NDLR), c’est ne pas comprendre l’intérêt de ce que nous faisons ».

La bataille des démocraties

L’intérêt – c’est bien là qu’est tout le problème : il n’est pas possible, selon les principes mêmes qui fondent l’UE, d’avoir les privilèges sans payer le prix (ici, respecter les règles qui assurent une concurrence loyale au sein de m’espace économique européen). C’est d’ailleurs ce qu’ont réaffirmé les eurodéputés dans la résolution – certes non contraignante – citée plus haut. Ce vote annonce la couleur : en dernière étape le Parlement européen devra de toute façon valider l’accord, et il n’acceptera pas n’importe quoi. Ce qui pose une question : qui est le plus légitime ? Le référendum britannique ou le vote des européens ?

D’aucuns argueront que les européens, plus nombreux, sont en bon droit de se défendre. D’autres que les britanniques sont plus légitimes car il s’agit d’une expression directe du peuple – exactement comme Johnson a opposé le peuple au Parlement à son arrivée au pouvoir. Mais là encore, il ne s’agit pas du peuple européen, et la volonté britannique ne saurait s’y substituer. En réalité, à jouer la bataille des démocraties, personne ne gagne. Le blocage souligne d’ailleurs un des acquis majeurs permis par L’UE : créer un espace de dialogue pour réconcilier, au mieux, les divergences d’intérêt entre états membres. Sans ces prémices, la situation sera sans doute réglée à la dure – au détriment de celui qui a le plus à perdre en cas de « no deal ».

Contrairement à la question démocratique, la réponse est ici évidente. C’est d’ailleurs ce que reprochent aujourd’hui certains britanniques à Bruxelles : un abus de position dominante. Il est vrai que les déconvenues répétées du Brexit ont permis d’enrayer l’euroscepticisme croissant, et une sortie trop réussie risque bien de remettre le feu aux poudres – ce qui pourrait à terme provoquer l’implosion de l’Union. Mais ce qui échappe aux pro-Brexit, c’est que la position de Londres n’est pas exactement bienveillante non plus. Alors même qu’ils ont, dans une large majorité, voté pour un divorce afin d’obtenir plus de protectionnisme au Royaume-Uni, ils cherchent une porte dérobée, pour accéder au marché européen sans respecter ses règles. Et le monde entier regarde.

Quitter la version mobile