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Le coronavirus pourrait-il devenir le Tchernobyl chinois ?

DALE DE LA REY / AFP

Le bilan de l’épidémie de coronavirus continue de s’alourdir. Avec plus de 24 300 personnes contaminées, le système hospitalier de la province du Hubei, où le virus est apparu, est totalement débordé, ce qui a poussé les autorités à réquisitionner plusieurs hôtels afin d’accueillir des malades. Avec 565 morts, l’impact de la maladie dépasse déjà de loin celui du SRAS, qui avait tué 349 personnes. La situation est chaotique, comme en atteste une vidéo publiée par un internaute montrant trois cadavres laissés dans un couloir de l’hôpital. Aussi, après des semaines d’appel au calme, le ministère des Affaires étrangères chinois a pour la première fois employé le terme de « pandémie ».

 Le terme n’a depuis jamais réutilisé, ce qui pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un couac de communication. Autre fait inédit, la direction du Parti communiste chinois (PCC) a abandonné la méthode Coué et a qualifié cette épidémie de « test majeur de la capacité et de la gouvernance » et a admis hier des « insuffisances » dans sa gestion de la crise. Pour autant, Pékin a largement reporté le tort sur les autorités locales qui a permis au virus de progresser aussi rapidement. Face à ces critiques, et contre toutes attentes, le maire de Wuhan ne se laisse pas faire, et renvoie la balle au PCC qui l’a empêché de prendre les mesures d’urgence qu’il souhaitait.

Des appels à la transparence

Après une couverture très optimiste de la gestion de la crise par Pékin – dans nos colonnes également – la presse aussi a nettement changé de ton. Et pour cause : la gravité de l’épidémie surclasse substantiellement les pronostics des autorités, qui assuraient être en contrôle de la situation. Parallèlement, un nombre croissant de de chinois se permettent de critiquer la gestion de la crise par les autorités, notamment sur le réseau social Weibo. « Je pense qu’il y a tellement de critiques, tellement de colère qu’il est difficile de tout censurer », analyse Fang Kecheng, chargé de cours à l’école de journalisme de l’université chinoise de Hongkong.

Les lanceurs d’alerte qui ont accéléré la réponse à l’épidémie sont notamment porté aux nues (en particulier les 8 médecins qui ont en premier communiqué sur le virus, dont un aujourd’hui contaminé). Si certains avaient été arrêtés pour « diffusion de rumeurs », ils ont tous été relâchés et sont aujourd’hui considérés comme des héros. L’opposant politique Xu Zhangrun, a ainsi publié sur les réseaux sociaux étrangers, pour contourner la censure, un texte intitulé « les gens en colère n’ont plus peur ». Plus étonnant encore, la très sérieux magazine chinois Caixin a clairement critiqué le régime pour sa gestion, appelant à davantage de transparence.

« Les informations devraient être véridiques, complètes et rapides, sans omissions volontaires, sans silences sur certains sujets », peut-on lire. L’article va plus loin : « la qualité des informations diffusées reflète le respect que les dirigeants accordent au droit de savoir des citoyens ». Caixin a également publié ce témoignage glaçant de docteur Peng Zhiyong, de l’hôpital universitaire Zhongnan de l’Université de Wuhan. « J’ai souvent pleuré pare que tant de patients ne pouvaient être admis à l’hôpital. Ils hurlaient devant l’établissement. Certains même se mettaient à genoux devant moi pour que je les accepte. Mais je ne pouvais rien faire car tous les lits étaient occupés ».

Le régime veut reprendre la main

La violence des faits relatés semble avoir mis le feu aux poudres dans le Wuhan. Aujourd’hui, pour les habitants de la région il ne fait pas de doute que le principal responsable est le PCC, et sa mauvaise direction du pays. Si l’opacité politique et l’administration plus incitée à être loyale qu’à être efficace ont sans doute permis une plus grande diffusion du coronavirus, Pékin est aussi attaquée sur la crise de Hongkong, le désaveu taïwanais, la répression de deux millions de musulmans ouïgours au Xinjiang et les difficultés économiques provoquées par la guerre économique avec Washington. « Le chaos dans le Hubei n’est que le sommet de l’iceberg. Toutes les provinces sont comme cela », assure Xu Zhangrun.

La population chinoise semble en tout cas consciente que l’image de leur pays ne cesse de se dégrader à l’étranger. « Nous avons sacrifié tous nos droits individuels afin que le régime nous protège et nous apporte le bien-être », peut-on lire sur un blog chinois, « mais le gouvernement n’a jamais pris soin de nous. Où nous mènera encore notre trop longue apathie politique ? ». Pour répondre à la colère montante, Xi Jinping, qui s’était fait bien discret pour ne pas s’exposer, est sorti du mutisme pour s’autoproclamer général en chef de la lutte contre le « démon » du coronavirus. Le retour inévitable du « sauveur » de la nation se joue donc déjà.

Le coronavirus a déjà provoqué une crise sanitaire qui semble en train de se transformer en crise économique du fait de la congestion de régions entières du pays et des difficultés d’importation causées par le virus. Aussi, pour le PCC, le plus important est maintenant d’éviter qu’une crise politique s’ajoute à tout cela. Le ministre de la sécurité publique, Zhao Keshi, a déjà tenu récemment trois réunions en huit clos – sans doute pour déterminer quelles têtes vont tomber. Il ne fait aucun doute que les autorités attendent un premier signal positif pour reprendre le contrôle de la narrative de cette crise. Dans ce contexte, il n’est pas anodin que Xi Jinping ait appelé, mardi, le PCC à « renforcer le contrôle sur les médias et l’Internet », comme pour sonner la fin de la récréation.

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