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Le décevant « deal du siècle » de Trump pour la Palestine

Le « deal du siècle » promis par Donald Trump a finalement été rendu public en fin de semaine dernière, et n’a pas manqué de provoquer la controverse. Comme la grande majorité des observateurs le craignaient, le texte repose sur une asymétrie marquée en faveur d’Israël. En effet, sous prétexte d’entériner la reconnaissance internationale de la Palestine, il offre un état « en creux », comme l’a justement souligné le directeur de l’IREMMO, Jean-Paul Chagnollaud. En outre, il fait fi de deux lignes rouges historiques de l’autorité palestinienne, en créant un pays morcelé par les colonies, privé de la vallée du Jourdain, mais aussi de sa capitale culturelle et religieuse, Jérusalem.

Afin de justifier ces concessions, la Maison blanche propose des compensations aux palestiniens – des offres restant toutefois au conditionnel. Il est ainsi question de 50 milliards de dollars d’investissements à partager avec les pays arabes voisins, quelques consolations territoriales sans réel intérêt stratégique (des poches désertiques dans le Néguev, le long du Sinaï), la promesse d’une autoroute souterraine Gaza-Cisjordanie et d’une île artificielle sevrant d’aéroport au large de Gaza. Mais là encore, injecter de l’argent de manière artificielle ne permettra pas un développement à long terme, les territoires palestiniens étant privés de contrôle sur les sources d’eau et de matières premières.

Pour Hugh Lovatt, analyste au Conseil Européen des Affaires étrangères, « le message envoyé aux Palestiniens est clair : il faut passer à autre chose. » Mais d’autres estiment que le texte fait beaucoup plus que d’entériner une réalité de fait. « Le principal changement aujourd’hui est qu’Israël et l’administration Trump vont encore plus loin qu’auparavant : cette fois, ils rendent transparente leur volonté de perpétuer la réalité de l’annexion. Au moins, c’est clair et explicite. Ce que les Palestiniens se voient offrir en ce moment, ce ne sont pas des droits ou un État, mais un état permanent d’Apartheid », déplore Hagai El-Ad, directeur exécutif de BTselem, une organisation israélienne de défense des droits palestiniens.

Une grave déstabilisation de la région

Plus largement, en s’arrogeant le droit de d’octroyer un territoire étranger unilatéralement, dans un happening politique clairement adressé à son électorat à la veille de la campagne présidentielle, Trump confirme son dédain total pour le droit international. Dans le même temps, il donne eu coup de pouce à son allié politique Benyamin Nétanyahou, en pleine campagne pour les élections générales du 2 mars, lui aussi fragilisé par une accumulation d’affaires juridiques dans son pays. Mais cette manœuvre déstabilise profondément la région. Notamment parce qu’aucun dirigeant israélien ne prendra le risque de faire marche arrière maintenant que des conditions aussi favorables ont été posées.

Depuis cette annonce, la gauche est inaudible et le centriste Benny Gantz, favorable à l’annexion des colonies depuis qu’il vise le poste de premier ministre, s’est range du côté américain. Elle enterre ai si de facto les accords d’Oslo, qui avaient été négociés par les Israéliens et les Palestiniens et signés en septembre 1993, à Washington. La proposition n’a pas manqué de faire sortir les palestiniens de leurs gonds, avec la rupture de « toute relation » avec Israël et les États-Unis, annoncée par Mahmoud Abbas quatre jours après la publication du plan américain. Un mauvais présage pour les droits politiques qu’auraient les citoyens arabes dans les territoires annexés, le cas échéant.

Les risques posés par cette solution à deux vitesses ont également été dénoncés par l’Union européenne, qui pour une fois s’est exprimée d’une seule voix en faveur d’une « solution négociée et viable ». Et pour cause : le nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, a appelé individuellement tous les états membres, avec une priorité accordée à ceux qui étaient susceptibles de s’aligner immédiatement sur Washington. L’idée était « d’élaborer une position commune » explique-t-on dans on entourage. « Il fallait vraiment faire vite, car Jared Kushner, le gendre du président et son conseiller spécial, s’activait auprès des capitales européennes pour qu’elles approuvent le plan de son beau-père », raconte un diplomate. « Et on a réussi à lui brûler la politesse ».

Une réaffirmation timide de la « cause arabe centrale »

La Palestine est « cause arabe centrale » – c’est en tout cas l’expression employée depuis des décennies dans les discours officiels arabes. Une réalité aujourd’hui plus complexe, en atteste la réaction mitigée des pays arabes à l’annonce du plan américain – il a même bénéficié du soutien diplomatique des Emirats arabes unis, de Bahreïn et d’Oman au moment de son annonce. Un revirement qui vide de sa substance le consensus sur la Palestine, incarné par le plan de 2002 du roi Abdallah d’Arabie saoudite. Un glissement si apparent qu’il a provoqué la tenue ce samedi d’une réunion extraordinaire de la Ligue arabe au Caire. Les pays arabes y ont finalement déclaré leur rejet « ferme et unanime » du deal.

« C’est un succès pour Abbas, qui a réussi à réunir à nouveau le monde arabe autour de la cause palestinienne », estime Ibrahim Fraihat, politologue palestinien basé à Doha. « Ce n’était pas gagné du tout. Le soutien de ses pairs semblait un peu vacillant ces derniers jours ». Il existe en effet une énorme lassitude sur ce dossier, paralysé depuis plus de 20 ans. Aussi, certains alliés historiques de la Palestine ne font pas de secret de leur volonté de le clore au plus vite. Si plusieurs pays comme la Tunisie, l’Algérie et l’Irak ont clairement rejeté le texte, d’autres comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont jugé bon de « saluer les efforts » de Donald Trump.

Parmi les plus grands opposants à la proposition de Washington on trouvait le Liban, qui pour une fois a fait preuve d’unité. Le pays accueille encore aujourd’hui quelques 200 000 réfugiés palestiniens, et veut une solution qui permettrait leur rapatriement – une perspective clairement ignorée dans le deal du siècle.  La Jordanie, garante du statu quo qui régit les lieux religieux de Jérusalem, voyait aussi ce développement d’un très mauvais œil, craignant pour sa stabilité interne. Mais nombre d’états arabes ont surtout été rattrapés par leur opinion publique qui se sent encore solidaire des palestiniens et rejette les compromis géopolitiques de leur gouvernement.

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